La matière sanctifiée

Thématique iconographique

Les matériaux du monde dont l’humain peut faire l’expérience sont, comme les nombres, des témoignages de l’action divine. Substances singulières, porteuses de propriétés insignes autant que métamorphiques, elles accompagnent l’histoire de la Chute et du Salut, et participent à toutes sortes d’analogies, typologiques comme proprement matérielles : l’ivoire, assimilé à de la peau ou de la chair, peut, tout comme le parchemin et la pourpre, renvoyer à la peau et au sang du Christ (voir Les matériaux signifiants) ; de la même façon, les effets de transparence, de pureté et de couleurs agissent, dans la production artistique, comme des déclinaisons de la lumière (voir Lumière comme principe esthétique). Ces évocations analogiques, très abondantes dans la littérature et dans les images chrétiennes, conduisent, par un dépassement de la littéralité sensible, à un référent plus spirituel. Tout l’enjeu des matériaux est en effet, et de façon un peu paradoxale, d’exalter un invisible sublime qui se départit de sa matérialité (voir Sacré comme interface avec le divin). En d’autres termes, la matière doit s’alléger et se spiritualiser pour pouvoir rencontrer Dieu, pour pouvoir s’unir à lui parce qu’elle est devenue compatible avec le divin. Au cœur de cette régénération se tient le Sacrifice purificateur du Christ (Régénération de la Création par le Sacrifice). À l’échelle humaine, cette régénération est le préambule d’un processus de purification de la matière souillée – la chair pulsionnelle – que vient progressivement remplacer une chair spiritualisée dans un corps transformé en temple divin (Le Corps spiritualisé). Quelques êtres parfaits sont enlevés au ciel sans que leur corps ne se désagrège, comme la Vierge dont l’Assomption est une fête et un motif iconographique d’importance croissants à la fin du Moyen Âge. Quelques matières corporelles ont été si fortement transformées par l’action des âmes saintes qui les soumettaient à leur loi spirituelle, qu’elles en ont conservé la trace, une virtus active, et pour certaines, porteuse de l’imputrescibilité de l’éternité dont elle manifeste la présence dans l’imputrescibilité des cadavres (Imputrescipiblité des reliques).  D’autres enfin, opèrent des miracles, telle une hostie qui s’anime et refuse d’être ingérée par un non-croyant. La fin du Moyen Âge, en particulier dans le nord de l’Europe, voit se déployer cette croyance dans des matières miraculeuses aux pouvoirs persistants (Dauerwunder). Elles soulignent l’un des paradoxes centraux de la Création : à savoir, « la présence de l’éternel et de l’immuable dans l’éphémère et le corruptible » (Bynum, 2011).


Rédaction

Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « La matière sanctifiée » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 21 novembre 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/1196