Sacré comme interface avec le divin
Thématique iconographique
Si le sacré n’implique pas de transformation de la nature de l’être sacré, celui-ci ne cesse pas d’être ce qu’il était – « Que chacun demeure dans l'état où l'a trouvé l'appel de Dieu » (1 Co 7, 20), il fait acquérir à l’être un second niveau d’existence déployé dans sa relation au divin – « Car celui qui était esclave lors de son appel dans le Seigneur est un affranchi du Seigneur ; pareillement celui qui était libre lors de son appel est un esclave du Christ » (1 Co 7, 22). Ce principe de disjonction entre l’être et son sens véritable rend la pensée médiévale très habile dans la production d’une imagerie mentale analogique, signifiante et symbolique où l’être participe toujours à une ou plusieurs réalités qui le débordent (voir Signes herméneutiques). Cette pensée est fermement étayée par le sacré qui apparaît comme une interface sensible (specie) avec les vérités divines.
La première des vérités dont témoignage le sacré est l’élan de sanctification du monde, cause de son existence même. L’Église, cheminant à travers le plan eschatologique que Dieu a prévu pour elle, œuvre pour être le reflet de celle qui s’édifie simultanément au ciel (l’Église des saints) et pour qu’elle soit, aussi, l’anticipation du Royaume du Christ – la Jérusalem céleste annoncée pour la fin des temps (Ap 21-22). Une telle vision du temps (voir Temps comme expérience collective) fait exister l’être rendu sacré à la fois sur terre et au ciel, mais aussi dans sa perspective d’union finale à Dieu (La chose sacrée dans sa vérité eschatologique).
Les artistes médiévaux excellent à articuler dans leurs œuvres des moyens visuels, des techniques et des matériaux, pour concevoir des dispositifs iconographiques et visuels capables de conduire efficacement le regard vers les vérités supérieures auquel le sacré est lié (voir Matière sanctifiée). Si ces œuvres agissent surtout visuellement, pensons toujours qu’elles étaient immergées dans un univers sensoriel complet, mobilisant l’ouïe par la musique et les chants liturgiques, l’odorat par l’encens, les parfums et la cire des cierges, et enfin le toucher direct ou indirect de certaines œuvres.
Le sacré, l’objet qui le contient ou l’œuvre qui le met en scène, est d’abord montré comme retranché du mundus (le monde) et du saeculum (le siècle), deux notions que les médiévaux articulent pour évoquer le monde charnel mortel car rendu corruptible au passage du temps. Ces objets, résultats de coûts de production et d’un temps de travail tous deux démesurés, se présentent donc comme surnaturel, au sens où ils utilisent des matériaux précieux, rares dans ce que la nature offre habituellement au regard (La vitalité de la matière consacrée) et immunisés de la corruption par leur l’exceptionnelle durabilité dans le temps (une beauté d’éternité). Ces œuvres sont faites pour évoquer un autre régime que celui auquel est soumis le monde naturel : celui de la Grâce (voir Matière mise en forme).
La disjonction, enfin, entre la nature de l’être sacré et la Vérité à laquelle il conduit, couplée au phénomène de dépossession du monde lors du transfert du sacré vers Dieu, est également un moyen très efficace pour créer une entité ou une propriété collective et fédératrice (au sens où elle n’appartient à personne sinon au Christ) soit, en d’autres termes, de produire de la chose publique au sens de res publica (La personne sacrée comme personne publique)