La personne sacrée comme personne publique
Motif iconographique
Cette enluminure montre le couronnement d’Edmond par deux évêques. Le saint est présenté en majesté, assis sur son trône, et muni de ses attributs royaux (regalia) : un manteau vert, une couronne pyramidale dont le coiffe un évêque, et un sceptre fleuronné que lui confie l’autre. L’enlumineur décrit ici plus qu’un simple épisode historique, il donne à voir un roi sacré, c’est-à-dire un roi que Dieu a choisi pour lui donner sa grâce et dont l’élection divine est actée par un sacrement dispensé par un clerc (évêque ou archevêque). Ce sacre royal serait en accord avec la tradition de sacrer les rois anglo-saxons dès le IXe siècle et, par ailleurs, le sacre d’Edmond est évoqué dans sa matière hagiographique dès la fin du Xe siècle par Abbon de Fleury, et confirmé dans une chronique du XIIe siècle.
Pour évoquer l’élection divine invisible, l’enlumineur utilise plusieurs indices. D’abord, l’aplat bleu, sur lequel la figure du roi est couchée, et qui est un moyen décoratif que l’enlumineur utilise à plusieurs endroits du manuscrit pour montrer la lumière de la grâce confiée au saint (sa virtus) qui semble ici émaner de sa personne pour inonder la salle du palais. La tête d’Edmond est en ce sens placée au-dessous d’un rideau ouvert laissant un vide qui épouse la forme pyramidale de sa couronne, ce qui attire l’attention sur le chef royal couronné mis en communication avec une vérité supérieure dévoilée.
Le peintre explicite par d’autres moyens l’enjeu de l’acte. Les deux évêques couronnant Edmond sont chacun placés à la tête d’un groupe d’hommes et, dans chaque groupe, un personnage porteur d’une épée signale son allégeance militaire au roi. Edmond n’est donc pas simplement le point de convergence des deux figures d’évêques, mais aussi de deux groupes politico-religieux composés de prélats et d’aristocrates laïques.
C’est ce que confirme la décoration architecturée placée dans la partie supérieure de l’image. Deux cités ceintes de murailles crénelées y sont placées entre les tours latérales du palais, motif que l’enlumineur utilise ailleurs dans le manuscrit pour figurer une ville extérieure au lieu de l’action. Ces cités sont positionnées au-dessus de chaque groupe qui compose le peuple d’Edmond, celui que sa personne couronnée unifie dans la grâce divine.
Edmond apparaît donc sur cette enluminure comme un roi christomimétique, montré à la ressemblance du Christ ; il porte en cela une robe rouge semée de médaillons, emplis du bleu de la grâce, timbrés de croix. Le roi réunit dans sa nature humaine deux personnes (l’une mondaine, l’autre liée au ciel) de manière analogue au Christ qui unit dans sa seule personne deux natures (divine et humaine) et, de manière analogue au Christ qui incorpore l’Église, Edmond, élu de Dieu, incorpore en sa personne son peuple : le roi devient une personne collective, une entité publique et politique.