Sacré comme transfert vers le divin

Thématique iconographique

Penser le sacré, sur un plan ontologique, comme le produit du phénomène de conversion de la matière du monde en matière sanctifiée, revient à le concevoir comme ce qui est retourné à Dieu (ce qui lui a été voué). Il s’agit d’un transfert dont les modalités, acceptées par la communauté, régissent les échanges matériels qui, orientés vers le divin, couvrent d’une autorité légitime une part croissante des échanges à l’intérieur même de la communauté chrétienne médiévale.

Ce mécanisme de transfert résulte du principe même de la Nouvelle Alliance : Dieu donne et son peuple reçoit. L’humain ne peut donc rien donner à Dieu puisqu’il n’est pas en mesure de donner ce qui ne lui appartient pas. Ce principe a été établi à l’instant où le processus de sanctification a été acté, lorsque Dieu a donné en sacrifice son propre fils pour laver le monde et l’humanité du Mal. Ce sacrifice, définitif et absolu, a rendu inutile tout autre sacrifice (notamment l’holocauste au Temple). L’humain s’engage, par sa volonté d’agir vers Dieu ou à son encontre, dans ce processus de transfert du monde vers Dieu ; son engagement se manifeste par l’offrande de ses biens et de lui-même. Mais, en tant que donateur, le chrétien ne se place pas exactement en position de se déposséder des biens de ce monde (et donc de les sacrifier), mais dans celle d’en déposséder le monde périssable pour les vouer à l’éternité divine (Les offrandes sans tâche à l'autel). Dans le cas contraire, il se dérobe à Dieu pour donner au monde et se tourner vers lui-même (voir Amour de soi).

Toutefois, la chose ou la personne rendue sacrée, bien que digne de respect et de vénération, n’est pas absolument retranchée du monde charnel, puisqu’ontologiquement, elle demeure ce qu’elle est par nature. Les choses et les personnes sacrées sont donc provisoires car périssables, soumises aux lois de ce monde. En un seul et unique cas chrétien, celui de l’offrande eucharistique consacrée, Dieu se rend présent, dans sa sainteté, en une parcelle de cette matière du monde (le pain et le vin) dont la valeur sacrée dépasse alors tout ce qui l’entoure. Cette matière sanctifiée est exclusivement destinée à la consommation humaine et ne doit pas être conservée dans le monde (L’offrande sublimée).

Si les choses et les personnes sacrées son périssables par nature, leur relation au divin est en revanche inaltérable : le sacré s’accumule dans le monde car le processus de sacralisation n’est réversible que par l’autorité du Christ qui le rend possible (dans les cas de déconsécrations ou d’excommunications par exemple). Ainsi, l’Église-communauté ne cesse de croître tout comme son territoire et ses biens : le transfert du mundus vers le sacré suit une dynamique linéaire identique à celle du plan eschatologique divin (La thésaurisation du sacré).

Les sacrements, qui actent la volonté divine, rendent cette dynamique possible ; principes mêmes de la Nouvelle Alliance car légués par le Christ à son Église pour garantir son union renouvelée avec elle, ils sollicitent ses ministres, seuls médiateurs possibles de sa volonté (L’Église comme intermédiaire de l’offrande à Dieu). 

Ce qui est rendu sacré, après avoir été rendu au Christ, est placé sous le régime du sanctus, c’est-à-dire de l’inviolabilité. Ce phénomène prend une valeur légale croissante dans l’histoire de l’Église-institution qui affirme, progressivement, la sacralisation de ses possessions et des membres de son clergé, notamment au tournant grégorien des XIe et XIIe siècles. L’Église-institution justifie l’essor sans fin de ses possessions par leur l’incorruptibilité, qui est équivalente à celle du corps saint du Christ. Elle construit cette analogie sur celle déjà ancienne qui place, à équivalence, l’intégrité théologique du corps glorieux du Christ et celle de son corps collectif : l’Église-communauté. Ce qui a été rendu au Christ incorpore le Christ et ne peut être repris au risque d’être profané – du terme pro-fanum qui se traduit littéralement comme « placé devant le temple ». L’acte de profanation prend, dans le christianisme médiéval, valeur d’altération du corps du Christ, un acte sacrilège qui retrancherait une parcelle du corps divin pour la rendre au mundus (Inviolabilité du corps mystique du Christ).


Rédaction

Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « Sacré comme transfert vers le divin » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 03 décembre 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/1168