La thésaurisation du sacré
Motif iconographique
Cette figure en trône est le résultat d’adjonctions progressives de matières précieuses offertes par des générations de chrétiens à l’église Sainte-Foy de Conques pour solliciter l’intercession de sa sainte patronne, et que plusieurs générations d’orfèvres et de joailliers ont patiemment assemblées.
L’objet, saturé de plaques de métal précieux (or, argent et cuivre) travaillées aux techniques d’époques différentes (repoussé, filigrane, etc.) sur lesquels sont sertis bijoux, pierres précieuses, cristaux, camés de provenances et d’époques variées, apparaît plus comme un amoncellement incohérent de richesses que comme une statue harmonieusement construite. Il resplendit pourtant d’une beauté surnaturelle aux yeux des médiévaux à deux égards.
D’abord, les propriétés optiques des matières employées créent des jeux de lumière qui font paraître cette statue comme surnaturelle, étrangère à ce qu’offre habituellement la nature au regard (voir Les écrins de la virtus). Ensuite, les propriétés naturelles que prêtent les médiévaux aux pierres précieuses, qu’ils perçoivent comme vivantes, animées d’une vitalité identique à celle qui fait croître et fructifier la nature (la viriditas au sens de « veretée »), font que cet objet est perçu comme vivant. La matérialité de la surface perceptible de la statue rend ainsi visible au fidèle la virtus des reliques qu’il contient, c’est-à-dire la vie surnaturelle qui a habité la sainte de son vivant et qui demeure dans sa dépouille (voir Vectorialité des reliques).
Mais l’effet de saturation relève également d’un effet esthétique recherché pour faire apparaître la statue comme un trésor, au sens médiéval du terme, c’est-à-dire moins comme un objet d’un grand prix que comme le résultat d’un lent processus d’accumulation de richesses offertes : une thésaurisation [P. Cordez, 2016]. Paradoxalement, le reliquaire, d’une valeur matérielle inestimable, résulte d’une application fidèle des prescriptions de l’Évangile : « Ne vous amassez point de trésors sur la terre, où la mite et le ver consument, où les voleurs percent et cambriolent. Mais amassez-vous des trésors dans le ciel […] car où est ton trésor, là sera aussi ton cœur » (Mt. 6, 19-21).
Des générations de donateurs se sont ainsi dépouillés de leurs biens matériels pour les convertir en offrandes à la sainte, par l’intermédiaire de son église, et l’image de la sainte rend visible les trésors spirituels amassés de cette manière par la communauté des fidèles. Sa richesse est la justification même de l’efficacité des offrandes futures.