Le végétal comme Silva
Motif iconographique
Le végétal est omniprésent dans la sculpture comme dans les pages enluminées des manuscrits médiévaux, en particulier du premier Moyen Âge. Il y est structuré soit par des formes géométriques sous-jacentes (croix, symétrie, cercles, enroulements, divisions trines) soit par des caractères graphiques, renvoyant les unes comme les autres à la capacité rationnelle et organisationnelle du Verbe créateur (voir Verbe et Espace comme sagesse mathématique). Cette matière végétale déployée dans les artefacts est toujours présentée comme vivante et constitue souvent le milieu au sein duquel sont déployées des figures animales, hybrides ou humaines. Cette matière première dynamique, informée et gorgée de puissance vitale peut ainsi être rapprochée du concept de silva, qui recouvre aussi bien la matière formable du monde que les bois et forêts. Nous en donnons ici un exemple contextualisé, particulièrement explicite.
Dans la lettrine B qui ouvre le premier psaume, le rinceau végétal s'entremêle au corps de David ainsi qu'à l'architecture de la lettrine. L’archet animé par le psalmiste « joue » à la fois de sa vièle et du rinceau, et l’ensemble du corps du musicien s’articule avec les courbes du végétal et du dessin de la lettrine (lettre qui figure, au sens propre, le principe de la formulation, de l’énonciation). Les pieds de David franchissent de surcroît le contour de la lettre, le pied droit pénétrant dans l'espace vierge de la page de parchemin, comme s'il mettait la lettre en mouvement.
L’introduction du commentaire de Gilbert de la Porrée commence par l’affirmation, constante au Moyen Âge, que le psautier parle intégralement du Christ comme tête, à savoir comme divinité principielle et incarnée, et comme corps, c’est-à-dire comme communauté unie en lui, l’Église. Dans cette perspective, qui régit cette peinture comme celles qui ouvrent la plupart des psautiers du premier Moyen Âge, le roi David est une figure du Christ restaurant le monde dans son ordre harmonieux de beauté et de vérité, une harmonie que la musique révèle à l’esprit par les mathématiques, et aux sens, par la suavité. David-Christ étant l’auteur des psaumes, c’est donc sa musique – la musique du Verbe – qui engendre la lettre à partir de la matière végétale du monde mise en forme et en mouvement. La croissance et les ramifications végétales figurent ainsi la matière du monde telle que le Verbe la soumet à sa puissance créatrice et ordonnatrice.