La progression dans la lumière comme chemin d’intelligence

Motif iconographique

L’adoration des rois mages (Mt 2, 1-12) est un motif très ancien dans la culture visuelle chrétienne, puisqu’on le trouve déjà dans l’art paléochrétien. Malgré la grande fixité du schéma de composition – les trois mages ou rois associés à l’étoile, d’un côté, et la Vierge tenant l’enfant Jésus sur ses genoux, de l’autre – la signification conférée à la scène évolue à la mesure des enjeux sociaux et religieux contemporains [M. Beaud, 2022]. Cette plaque émaillée s’inscrit dans l’une de ces traditions sémantiques, identifiée au moins depuis le XIe siècle, celle qui utilise le motif pour figurer la transformation intérieure du fidèle au fur et à mesure qu’il se rapproche de l’enfant Jésus. Elle est ici soulignée par le rapport des personnages à la lumière.

Trois types de sources lumineuses sont activées dans la plaque. La plus visible provient d’une petite flamme qui illumine en blanc la lampe de verre translucide qui pend à l’arc sous lequel se déroule la scène. Ce luminaire éclaire l’intérieur de l’église de Bethléem et est placé à la verticale de la main que le mage central tend vers la deuxième source de lumière, l’astre-étoile rouge enflammée qui guide les mages vers Bethléem. L’étoile rouge est située, pour sa part, au-dessus du fleuron de Sagesse tenue par la Vierge. On en retrouve la couleur à la base du fleuron, sur les trois calices des rois, et en bas, sur le monticule et surtout les chaussures inclinées du premier fidèle. Cette lumière rouge, version astrale de la petite flamme du luminaire, est un signe qui guide les personnages dont il commande les actions. La troisième source lumineuse de la plaque croît encore en qualité. Elle est constituée par l’enfant Jésus qui tient un livre et bénit le roi qui s’agenouille devant lui. La figure est représentée en réserve dans la plaque, sur le champ bleu céleste du manteau de la Vierge. Lumière pure car privée de couleurs, elle est mise en vibration par le travail d’incision qui recouvre le corps et la vêture de l’enfant, dont la tête est, de surcroît, constituée par une applique : achrome et tridimensionnel, Jésus est à la fois lumière pure et présence incarnée.

A chaque type de lumière correspond un comportement qui révèle une disposition intérieure, un état spirituel différenciés. Le premier mage lève les yeux tout comme il verticalise sa main : il ne voit que la lumière blanche du luminaire qui marque la sacralité du lieu dans lequel il est entré. Le deuxième mage pointe de son index l’étoile et détourne l’attention du premier mage du luminaire vers l’astre qui a été le vecteur de la volonté divine. Le troisième mage est agenouillé devant l’enfant Jésus et il répond à la virga en tendant sa coupe d’une main voilée en signe de respect, qui vient se porter au contact de l’auriculaire de la Vierge : il reconnaît Jésus comme la Sagesse du monde, le Verbe divin incarné dans un corps humain.

Les trois mages ne sont qu’une seule et même figure en progression, déclinée en trois temps de sa compréhension de la lumière. Sur la base exégétique d’une progression de la vision en trois étapes, telle que mise en place à l’époque carolingienne sur une base augustinienne (Ambroise Autpert, par exemple), ces trois temps correspondent à trois types de visions :  matérielle (la première figure à gauche voit la beauté de la lumière sensible), spirituelle (la seconde au centre comprend la lumière comme un signe divin) et intellectuelle (la troisième voit la lumière comme Vérité du Christ).


Rédaction

Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « La progression dans la lumière comme chemin d’intelligence » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 03 décembre 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/968