La lumière vectrice des âmes rationnelles
Motif iconographique
Du buste de Dieu le Père, en haut à gauche sur des nuées, jaillissent des rayons qui diffusent la lumière dans toutes les directions. L’ensemble du paysage est baigné de cette lumière divine. On en retrouve les traces dorées sur les nuages, les feuillages et troncs des arbres, l’eau miroitante, l’herbe des près et les anfractuosités des rochers. Les rayons s’atténuent avec l’éloignement de leur source divine, mais ils sont prolongés sous le petit personnage nu qui descend vers Adam, et dont le corps entier brille de lumière dorée. Certains rayons continuent dans la direction de la partie supérieure du corps qu'ils viennent frapper au niveau du bras et de la main. Le corps allongé est parfaitement inscrit dans ce paysage : posé sur un sol où il projette une ombre marquée, il a le buste et la tête du côté de la ligne croissante d’arbres, tandis que ses jambes et ses parties génitales, plus dépréciées, se tiennent sur une terre plus aride, et du côté des rochers.
Le Créateur tient un orbe crucigère marqué d’un T et surmonté d’une petite croix dont la traverse est parfaitement alignée avec l’un des rayons lumineux qu’elle recouvre. Cet orbe diffère de celui, simple sphère sans croix, que tient le démiurge créant le ciel et la terre au folio 141 du même manuscrit. Par-delà sa référence à la domination sur le monde, l’orbe crucigère évoque les cartes dites en TO, qui figurent une méta-géographie terrestre (l’oikoumène) alignée sur le corps christique (voir Le monde atomisé en lieux coordonnés). Dans cette miniature, le paysage et l’homme sont réunis dans un même principe d’organisation rationnelle, à la fois lumineux et géométrique, et décliné dans l’histoire.
La face de Dieu, l’orbe crucigère, la tête du petit personnage nu et la tête d’Adam sont alignés. L’épisode figuré n’est pas celui de l’animation d’Adam, lorsque le principe vital est porté par le souffle divin ou lorsque Dieu redresse sa créature (voir Âme comme principe de vie). On notera, du reste, que le ventre d’Adam est déjà gonflé par le souffle. Son bras gauche étendu sur le sol le souligne, il est corps animal fait de la glaise, d'une matière terrestre et périssable. Le petit homme nu est fait, pour sa part, de matière spirituelle qui réfléchit la lumière divine. Il figure l’âme raisonnable (mens, intellect), un don qui élève l'humain au sommet de la création, comme l'indique le geste de bénédiction du Créateur, et pose Adam à l’image de Dieu. C’est précisément ce qu’annonce la rubrique rouge précédant la miniature et placée au début d’un livre qui traite : « de l’âme raisonnable et de ses propriétés ; premier chapitre qui est homme selon histoire ».
Le don de cette forme organisée qu’est l’âme raisonnable s’inscrit dans un paysage qui a reçu la même rationalité, et qui lui répond : l’âme raisonnable qui est lumière permet à l’homme de « voir » la lumière dans le monde au sein duquel il est placé. Le monde en devient territoire de raison à explorer pour comprendre Dieu. Cette première image scientifique de l’encyclopédie est donc réflexive, car elle justifie l’encyclopédisme lui-même. En recevant son âme raisonnable, Adam reçoit la faculté et le point de vue qui lui donnent la possibilité de la raison, c’est-à-dire un entendement, une compréhension, et de ce fait une domination du monde.