Adhérence de l'être à son lieu

Motif iconographique

Prudence (Prudentia) est montrée comme une femme assise à son bureau et présente les caractéristiques de sa qualité vertueuse. Ses cheveux sont attachés et couverts, signe de ses passions contrôlées. Elle porte son regard sur le miroir qu’elle tient, non pour observer son reflet, mais pour y scruter les mesures qu’elle reporte à l’aide d’un compas sur le carnet posé devant elle. Le jeune homme personnifiant la Folie (légendé par l'adjectif masculin Stultus) est l’opposé de Prudence. Massif et gras, son lourd manteau asymétrique et déchiré le laisse à moitié nu. Animalisé, il porte une couronne de plumes et les longues franges de son manteau retombent derrière lui, telle une queue, pour le faire ressembler à un étrange oiseau. Roi parodique, sa couronne sans valeur est complétée par le lourd gourdin lui servant de sceptre, qu'il scrute avec attention. Brutal et stupide (Stultus), il apparaît comme le roi d'une fête des fous, renversement parodique de l'ordre social ritualisé lors de processions festives organisées une fois par an.

Au-delà de leurs attributs et de leurs caractéristiques physiques et vestimentaires, les des deux figures se distinguent par la façon dont elles s'articulent avec leur propre champ pictural, à savoir avec le lieu d'existence qui leur est donné dans l'image et qu'elles construisent par leur position. Prudence, robuste et stable, est parfaitement en équilibre dans la niche qu’elle occupe : son visage de profil permet de saisir son regard aligné sur l’axe médian de la dalle de granite bleu ; son bureau est posé sur un socle de marbre rose peint en perspective plongeante ; les montants du meuble se confondent avec ceux de la niche dont ils semblent prolonger les lignes de perspective ; l'épaisseur du meuble ne déborde pas de celle de la niche creusée dans la profondeur. Au contraire, le corps de Folie repose sur un monticule de terre bien trop étroit pour supporter la lourdeur de son corps. Par ailleurs ce monticule est posé sur un socle de marbre rose dont on ne distingue que la tranche : positionné tout au bord de la niche illusionniste, la figure se dissocie complètement de son champ, créant une annulation de la profondeur. La fragilité de son équilibre impacte aussi l’axe de son corps qui souligne la diagonale de la dalle de granit bleu : si ses jambes dénudées déportent son corps vers la gauche, le regard que l’homme porte vers le haut l’oblige à se cambrer, rendant sa chute en arrière imminente [S. Romano, 2013]. Le trouble intérieur de Folie est exprimé par le déséquilibre entre son corps et le champ qui l’accueille, ce qui révèle la qualité vicieuse d'un être qui n'accèpte pas l'attribution de son lieu.

Placée à l'extrêmité orientale de la paroi nord de la nef, Folie se place en tête des six autres vices vers lesquels elle se tourne. A cette place dans la chapelle, la figure fait face au Jugement dernier du mur occidental, positionnée du côté nord, du côté des damnés, là où sa chute le mènera. Au contraire, Prudence regarde du côté des élus du Jugement dernier, mais contemple, dans son miroir tourné vers l'abside, les reflets du divin qui la guident dans ses prises de décision. Prudence loue l’activité de la raison qui repose, selon les descriptions médiévales, sur la connaissance du passé, du présent et du futur, ce que respecte Giotto en plaçant sa personnification à la confluence des trois [S. Romano, 2013].


Rédaction

Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « Adhérence de l'être à son lieu » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 03 décembre 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/910