Fondation d'un lieu saint
Motif iconographique
La mort du saint par décapitation est montrée sur l’enluminure du folio 14v que le peintre prend soin de partager en deux cadres superposés pour insister sur la séparation de la tête et du corps du saint. Dans le cadre supérieur, la tête d’Edmond tombe au sol en marquant un axe vertical. Au-dessus, le long de ce même axe, l’âme du saint figurée par une colombe est accueillie par la main de Dieu. A ce moment précis, la vertu du saint se révèle dans l’image par une composition quadrangulaire d’aplats de bleu et de vert qui irradient du corps martyrisé du saint pour couvrir tout le champ de l’image.
La composition colorée d’aplat de vert et de bleu reproduit un cadre plus limité au registre inférieur. L’aplat de vert formant le montant gauche de ce cadre coloré prolonge l’axe de la chute de la tête pour en marquer le point d’impact au sol. Le bourreau vêtu de rouge, qui avait tranché la tête précédemment, déplace le précieux chef hors du lieu du supplice pour le cacher dans la forêt. Le cadre coloré s’étend alors le long de l’axe horizontal que marque le déplacement de la tête ; il définit un territoire investi de la virtus du saint (sa vitalité surnaturelle qui investit encore son corps mort) au centre duquel est planté un jeune arbuste croissant sur l’aplat bleu. La présence vivante du saint sur terre est pourtant encore limitée à ce moment du cycle car le corps du saint est incomplet : le cadre de vert et de bleu est plus réduit au registre inférieur qu’au registre supérieur.
Le folio 17r décrit le moment où la tête et le corps du saint sont réunis. L’arbre que nous avions vu à l’état d’arbuste sur la miniature précédente est désormais adulte. Il se présente comme un arbre greffé : le tronc peint d’un brun sombre évoque le corps du saint alors que le bois de ses branches peint en brun orangé évoque la tête. Ce branchage gorgé de sève s’épanouit pour abriter le peuple réuni autour du corps de son saint, au pied de l’arbre. Ce corps désormais complet, allongé perpendiculairement au tronc, est la source de la vitalité qui irrigue le végétal. Cette vitalité du corps agissant sur terre est à nouveau montrée par les aplats de vert et de bleu disposés en arc le long de la courbe du branchage.
Le folio 18 recto décrit le moment où la dépouille du saint est inhumée dans une église abbatiale. Les membres du peuple d’Edmond sont cette fois abrités dans l’édifice, répartis dans les bas-côtés, comme ils étaient abrités sur la miniature précédente sous les branches de l’arbre de part et d’autre de son tronc. Les couleurs vertes et bleu sont désormais organisées autour de la sépulture qui devient le lieu territoire où va vivre la communauté : une église. Cette église (ecclesia) est un corps collectif qui se confond avec l’église-monument.
Les aplats de vert et de bleu nous montrent le principe qui a fait de ce lieu de sépulture un lieu sacré communautaire. Ceux-ci se sont recomposés en deux cadres identiques symétriquement disposés à l’intérieur du monument et au-dessus de sa toiture. Un axe vertical, qui rappelle celui du martyr du saint (f. 14v), se reproduit sur le champ bleu ainsi délimité de vert ; celui-ci est marqué par la main de Dieu apparue au-dessus de la châsse reliquaire et la croix qui coiffe la toiture du bâtiment. Le saint, dont le corps repose en terre et dont l’âme séjourne auprès de Dieu, favorise la communication avec Dieu. Il réduit la distance entre les humains et le divin en ce lieu précis, sur cette parcelle de sol devenue sacrée car investie de la virtus du saint.
Ces trois enluminures exemplarisent le processus d’expansion de la chrétienté en figurant, par un simple jeu d’axes et d’aplats bicolores la sanctification d’un lieu, et de la communauté qui y vit. Celle-ci se réunit dans l’église abbatiale édifiée dans la ville de Beodericsworth, dont le toponyme change pour adopter le patronyme du saint : Bury-Saint-Edmond, à savoir le bourg de saint Edmond.