Espace comme distance
Thématique iconographique
Au moment de sa création, l’humain est placé au centre du Paradis, lui-même placé au centre de l’Univers, où il vit en état d’immortalité au pied de l’arbre de Vie (Augustin d’Hippone, De genesi ad litteram, livre VIII). Il est, dans le même temps, placé en position hiérarchique médiane : créature conçue à la ressemblance du Créateur et dominant les animaux (idem, livre VI, 19), il est surmonté par les anges, qui sont des créatures spirituelles. La position de centralité (relativité horizontale) et la position hiérarchique (position médiane sur la verticale) sont interconnectées. L’une et l’autre caractérisent la distance au divin : l’Arbre de vie paradisiaque d’une part ; le ciel et ses créatures spirituelles de l’autre. Lors du péché originel, le rapport de centralité est affecté tout autant que la distance verticale : s’éloignant de la nature angélique, l’humain sombre auprès des animaux mortels, et sa destinée, après sa mort, est d’aller aux enfers qui est l’endroit le plus éloigné de Dieu sur la hauteur.
La distance par éloignement établit une frontière qui sépare l’humain de Dieu. Cette frontière est le fruit de l’hétérogénéité radicale de substances et de l’impossibilité de coexistence locale entre l’humain et le divin. Elle est indépassable par l’humain, hormis en esprit, au risque de commettre un sacrilège. Elle est, en revanche, franchissable par les créatures spirituelles et par Dieu (Frontière entre humain et divin).
L’incarnation du Christ au milieu des humains et à leur niveau hiérarchique annule radicalement cette frontière, fondant la possibilité du Salut. À sa mort, le Christ suit un mouvement descendant vers l’Enfer, mais remonte vers le Ciel au moment de l’Ascension, après avoir vaincu la mort : « Personne n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme, qui vit dans le ciel », dit l’évangéliste Jean (Jn 3, 13). L’Incarnation et la Résurrection corrigent ainsi le décentrement de l’humanité sur les deux axes verticaux et horizontaux. Coordonnés, ces axes trouvent leur paradigme dans le Christ et sa croix orthonormée : le Christ est à la fois le nouvel Arbre de vie vers lequel tous les sauvés convergent pour s’unir à lui (ce nouveau Paradis sur terre qu’est l’Église) et à la fois le guide qui conduira l’ensemble de l’humanité vers le Père céleste (l’Apocalypse de la fin des temps). Après la fin du monde, les distances seront annulées, tandis que le temps se fera éternité : les Élus vivront en Dieu.
La lecture morale de l’histoire du Salut (Chute – Élévation) privilégie le schéma vertical largement déployé dans l’architecture et dans l’iconographie médiévales. Toute action sur terre affecte la condition spirituelle du chrétien qui a la radicale liberté, soit de s’élever de sa position médiane vers la connaissance intellectuelle de Dieu (les « trésors célestes » de Luc 12, 33), soit de se détourner aveuglément de Dieu pour poursuivre son chemin descendant vers l’Enfer (L’élévation sur l’échelle de Jacob).
L’axe horizontal et les déplacements qu’il règle, fournit un autre modèle de réduction de distance au divin : se déplacer vers le sacré sur terre, c’est se rapprocher du Christ. Le pèlerinage médiéval est l’expression la plus accomplie de ce cheminement (iter, uia, peregrinatio), compris comme une élévation spirituelle. Ce schéma se reproduit à des échelles très diverses, qu’il soit individuel ou collectif (Pérégrination vers Dieu). Progresser selon l’axe de la nef d’une Église, par exemple, sera perçu comme une progression vers l’Orient, vers l’origine, et donc comme un retour vers le Paradis, tout autant que le cheminement de l’Église dans le monde incarnera le mouvement de l’humanité dans l’Économie du Salut.