Modelage de la chair

Motif iconographique

La transformation de la matière inerte de la terre en corps vivant d’Adam est une des opérations de création et de mutation qu’Hugues de Saint Victor mentionne comme étant spécifique à Dieu. Cette mutation primordiale s’opère entre la terre (l’humus, qu’Isidore de Séville rapproche de homo) et la chair vivante de l’homme qui est modelée par les mains du Créateur. Dans un emplacement biblique qui n’est pas le début du livre de la Genèse, mais le début du premier livre des Chroniques, racontant l’histoire d’Israël en remontant à Adam et Seth. L’enjeu d’Etienne Harding est de montrer le passage entre une matière informe et inerte et une matière formée et vivante, qui est à l’origine de toute l’humanité parce qu’elle peut croître et multiplier.

Le vêtement de Dieu, dans l’image, porte toutes les couleurs de la lettre végétalisée qui contient la scène ; il n’a cependant pas le nimbe crucifère que la tradition lui prête habituellement dans cette scène comme dans la quasi totalité de l’iconographie médiévale. Il est ici un Christ-Verbe, c’est-à-dire un Christ incarné dans un corps d’homme et dans l’histoire, mais il n’apparaît pas sous sa forme divine. La condition du modelage du corps d’Adam est précisément la similitude que la scène implique ainsi entre le Créateur humanisé et la créature qu’il va former et animer : « faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance » (Gn 1, 26).

Contrairement à l’iconographie habituelle figurant l’animation de la matière modelée par l’entremise d’un souffle divin dirigé vers la bouche d’Adam, l’artiste montre, de façon implicite, que c’est la vitalité de la lettre (c’est-à-dire du Christ Verbe lui-même) qui va animer la figure d’Adam encore incolore. Pour être plus précis, Adam, les paupières closes, est incolore car inachevé, comme le montre la jambe droite encore informe qu’il allonge dans la glaise. Toutefois, il se tient au-dessus d’un sol végétalisé très dynamique et il est adossé au tronc vert (vivant et croissant) de la lettre A, dont on se rappelle qu’elle débute la généalogie humaine. En synthèse, Etienne Harding évoque dans cette lettre historiée les deux récits bibliques de la création d’Adam : le modelage de la matière à la ressemblance du Christ Verbe (Gn 2,7) et l’animation permise à cette matière par la ressemblance de l’homme au Verbe (Gn 1, 26).

Dans un autre registre moins théologique, on pourra avancer que la similarité des substances (chair et terre) pourrait ici faire référence aux théories de la mutation qui caractérisent le premier Moyen Âge. La mutation y est conçue comme une évolution ou un développement à partir d’une potentialité en germe [Caroline Bynum, 2001], qui présuppose une similitude entre l’état primaire et l’état final de la substance ou de l’objet. De fait, la transformation de la terre en chair est une conséquence logique de leur similitude substantielle mais aussi de la similitude que Dieu établit entre lui et sa créature.


Rédaction

Marion Loiseau / Direction scientifique Sébastien Biay, Isabelle Marchesin


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Marion Loiseau / Direction scientifique Sébastien Biay, Isabelle Marchesin, « Modelage de la chair » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 21 novembre 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/853