Arts mécaniques
Motif iconographique
Bien que cette page se trouve en ouverture d’un traité de théorie politique à vocation encyclopédique, cette image ne semble pas accompagner le texte mais se rapporterait plutôt à la tradition des allégories de l’échelle, telle qu’on la trouve dans la Consolation de la Philosophie de Boèce. La figure féminine qui surmonte la composition a les attributs d’une allégorie – la position, l’ampleur et la couronne. Elle hérite des traits de la Philosophie antique, mais mâtinée des qualités de la Sagesse chrétienne, c'est-à-dire de la Théologie. De part et d’autre de Philosophie se tiennent deux cités. Sous ce registre supérieur sont déployées trois colonnes renfermant des figures au travail.
La colonne centrale, placée sous Philosophie, renferme les traditionnels sept Arts libéraux hérités de la culture savante antique, Trivium en bas (grammatique, dialectique, réthorique), Quadrivium en haut (arithmétique, géométrie, musique, astronomie). Le classement de haut en bas montre la procession que ces sciences ont les unes des autres (il n’y a de dialectique que sur la base d’une grammaire, etc.)
La colonne de gauche présente une déclinaison de ces savoirs libéraux dans des métiers à la fois artistiques (en bas, peinture, écriture, harperie-lutherie) et intellectuels (en haut, lois, physique, décrets et logique). Les milieux où sont produits, enseignés et discutés ces savoirs et savoir-faire sont montrés comme monastiques, cléricaux, voire universitaires : ce sont des milieux de lettrés. La cité qui domine cette colonne est symétrique, ouverte sur le fond or, et son dôme dépasse le cadre de l’image ; elle évoque l’accès à quelque chose qui se tient au-delà du cadre, une vérité céleste à laquelle se nourrit aussi le pouvoir de Philosophie.
La colonne de droite contient, en revanche, l’application de ces savoirs à l’action sur la matière et donc à la transformation des éléments de la création en vue de faciliter de la vie humaine. Elle est sommée par une cité asymétrique et sans ouverture, dont le dôme ne surpasse pas le cadre de l’image. Cette colonne, qui ne vise donc que le matériel, est dépréciée par rapport à la colonne de gauche et plus encore par rapport à la colonne centrale, car elle ne mène pas aux vérités divines et ne concerne que la vie pratique des cités humaines. Les métiers qu’elle renferme ont comme caractéristique de tous se référer à une transformation de la matière dont nous pouvons proposer une hiérarchisation. En bas, elle concerne une mutation qui consiste en une transformation de matière première en artefact (forgerie, charpenterie, tisserie). En haut, en revanche, elle présente des métiers qui transmutent une chose en une autre : changerie (une marchandise transformée en sa valeur et vice-versa), labour (guaignerie, à savoir la terre transformée en champs, en ager pour l’agriculture), l’alchimie (une matière transformée en une autre matière) et enfin, en présence d’un diable noir, et clairement stigmatisée comme corruption ultime de la transmutation, la nécromancie, visant à transformer le mort en ombre démonique pour le consulter (et l’on notera le traitement différent du titulus qui la désigne, inscrit dans le cadre de la vignette).
La transformation et la transmutation qui habitent la colonne de droite sont des activités humaines à finalité strictement utilitaire et pratiques. Moins encadrée par les règles de la raison et de la sagesse que ne le sont les activités créatrices de type artistique que l’on trouve dans la partie basse de la colonne de gauche, elles ont aussi un potentiel de risque, peut-être suggéré par l’alchimie, mais qui se manifeste pleinement dans la nécromancie qui s’exerce, pour sa part, par delà ou en dépit des lois naturelles.