Anticipation de la vision béatifique
Motif iconographique
Cette enluminure s’inscrit dans une sorte de micro cycle de trois peintures distribuées sur une double page, f° 15v et f° 16, au début de l’encyclopédie qui porte le nom d’Omne Bonum. Consacrées à la vision, elles font suite à un bref résumé des deux Testaments et précèdent le kalendarium de la lettre A et la préface. On peut y identifier, au f° 15v, dans deux vignettes, saint Benoît qui, alors qu’il priait, reçut la vision du monde entier dans un rayon de lumière et vit l’âme de l’évêque Germain transportée vers le ciel, puis la vision de saint Paul sur le chemin de Damas, deux images complémentaires en raison des modalités différentes de vision qu’elles proposent. Elles sont accompagnées d’un extrait du chapitre 35 des Dialogues de Grégoire le Grand, d’une glose de 2 Co 12, 2-4 et d’un extrait de La Genèse au sens littéral d’Augustin, trois textes évoquant le ravissement et la vision de Paul. Vient ensuite la miniature qui nous intéresse, précédant le folio 16v où la vision béatifique en Paradis est représentée sous le texte Benedictus Deus que le pape Benoît XII a produit en 1336 sur le sujet. L’image est organisée en trois registres qui déclinent trois types de connaissance de Dieu par la vision. Au registre supérieur, la face divine rayonne, entourée d’anges dont deux, sur la gauche, portent l’âme de Germain, baignée de lumière, conformément à la vision de Benoît. Le registre médian figure les saints Benoît et Paul agenouillés en prière, reconnaissables à leurs attributs respectifs. Ils ne reçoivent qu’une partie du rayonnement divin : ils ont une vision fragmentaire de la lumière divine. Paul, dont le corps est traversé par la lumière, a les yeux tournés vers le haut, tandis que Benoît désigne le registre inférieur, présentant un homme et une femme agenouillés de part et d’autre d’une figure du cosmos, dont le centre est occupé par Adam et Ève. Des rayons lumineux parviennent, plus faiblement, jusqu’à ce registre.
Trois types de connaissance divine se succèdent donc dans les registres superposés. Tout en bas, les laïcs voient Dieu dans le monde, tel qu’il se révèle à travers la Création, en l’occurrence figurée de façon synthétique comme un cosmos, au centre duquel se tient la terre et l’histoire sainte. Paul et Benoît ont reçu une vision partielle de la divinité, selon des modalités différentes indiquées par leur gestuelle. Benoît pointe du doigt le cosmos, qui a été offert à sa vue dans son intégralité ; les rayons divins frappent directement sa tête (son intellect) et sa crosse (son ministère). Paul, quant à lui, a été tout entier enveloppé de l’éclat de cette lumière ; son nimbe est nourri par les rayons qui émanent de Dieu, et son corps est littéralement traversé par la lumière. Il bénéficie d’un saisissement dont il va témoigner (cf. l’épée du martyre et le pied pointé vers le registre inférieur), et non d’une connaissance intellectuelle et spirituelle des traces et manifestations divines, comme Benoît. Cette connaissance extrême de Dieu n’égale pas celle à laquelle accède Germanus au registre supérieur, baigné dans un rayonnement divin. Cette vision béatifique, par participation à la lumière divine, est précisément celle que le pape Benoît XII évoque dans le Benedictus Deus : ininterrompue et sans amoindrissement. Paul et Benoît incarnent chacun une manière d’accéder à une vision de Dieu incomplète mais préfigurant la vision béatifique, en recevant la grâce à travers, pour l’un, le martyre et pour l’autre, l’intelligence de la Loi et sa traduction dans la règle. Ils sont ainsi proposés comme deux types de médiation possible aux laïcs qui cherchent à accéder à la lumière divine.