Vision apocalyptique
Motif iconographique
La nature de la vision apocalyptique a été débattue par les théologiens, qui y ont vu alternativement une vision spirituelle ou une vision intellectuelle [B. Nolan, 1977]. Augustin considère la vision johannique comme une vision de l’âme d’un type particulier, où l’image mentale et sa signification sont simultanément offertes au visionnaire. L’enluminure de l’Apocalypse de la Morgan Library reflète cette position. La vision de chacun des cavaliers est introduite par l’un des quatre vivants, ici l’aigle, qui tourne la tête en direction de Jean alors qu’apparaît le quatrième cavalier (Ap 6 :7-8) Tous deux tiennent un cartel où figure l’ordre “veni et vidi”, qui insiste à la fois sur l’obéissance de Jean et sur le caractère sensoriel de sa vision. Sur le cartel figure également un passage du commentaire sur l’Apocalypse rédigé au IXe siècle par Berengaudus, moine de Ferrières : “id est, spiritualiter intellige / comprends de façon spirituelle”, un appel à une lecture non littérale des épisodes décrits – la lecture littérale étant un risque largement souligné par l’exégèse avant la fin du Moyen Age ; ce qui est décrit n’est là que pour rappeler ou annoncer ce que l’Église historique a été amenée ou sera amenée à vivre. Cette lecture interprétative est explicitée visuellement dans l’image, qui prête au cavalier une coupe au contenu enflammé qui ne figure pas dans le texte biblique, mais qui s’explique par une glose de Berengaudus citant le Deutéronome (32:22). La double exhortation à voir et à interpréter donne à Jean un rôle de témoin actif, mais également de passeur de la démarche de la vision intelligente/interprétative (visio spiritualis) il voit, il expérimente, il reçoit des informations qui l’éclairent et qu’il rapporte. Il transmet la démarche en même temps qu’il rapporte ses visions [R. Emmerson, 2010].