L’Église sacerdotale
Motif iconographique
Le Christ trône dans une grande mandorle, assis sur un arc végétalisé figurant peut-être le ciel paradisiaque. Ses pieds reposent sur un monticule stylisé qui évoque la terre, mais qui est rempli, en l’occurrence, d’un grand arbre de vie déployé en rinceaux. Il fait un geste de bénédiction de sa main droite et, de l’autre, tient un livre ouvert sur lequel est inscrit : « ego sum lux mundi », « Je suis la lumière du monde » (Jn 8, 12). La domination que le Christ exerce en tant que lumière du monde est déployée à l’échelle cosmique d’un Verbe vivifiant qui opère en tous les points de l’espace et du temps, ainsi qu’il en est de la lumière elle-même, dont l’action est affirmée du début de la Genèse jusqu’à la fin du monde décrite par l’Apocalypse de Jean.
En effet, les lettres alpha et oméga (première et dernière lettres de l’alphabet grec) sont disposées de part et l’autre de la figure du Christ sur le fond bleu nuit de la mandorle. Elles rappellent qu’il est le Verbe co-créateur du monde (« Il est l’image du Dieu invisible […] tout a été créé en lui et pour lui », Col 1, 15-16) et qu’il est le Verbe eschatologique qui règnera sur le monde (« Alors celui qui siège sur le trône déclara : ‘Voilà, je fais l’univers nouveau’ […] C’en est fait, je suis l’Alpha et l’Omega, le Principe et la fin’ » (Ap 21, 5-6, voir aussi Ap 22, 13).
Les quatre symboles des Evangiles, introduits chacun par un ange, sont figurés et distribués dans l’image d’une façon inhabituelle. En haut à droite, un ange tient un aigle nimbé, le symbole de saint Jean ; en haut à gauche, l’ange figure lui-même le symbole de Mathieu et tient un livre ; enfin, quatre médaillons déployés, tels des roues, dans le bandeau placé au bas de la mandorle, renferment deux anges tenant, pour l’un le lion de saint Marc, et pour l’autre le taureau de saint Luc. Les quatre cercles ainsi que les quatre Vivants sont des références explicites à la Vision du char de Yahvé du début du livre d’Ezéchiel (Ez 1). On notera toutefois qu’aux extrémités du bandeau sont placés deux séraphins qui déploient leurs six ailes (comme dans la vision d’Ezéchiel, 1, 11). Ces ailes sont couvertes de petits ocelles que l’on retrouve apposés sur les corps du lion et du taureau du bandeau inférieur. Ces ocelles sont mentionnés dans un autre passage biblique, la vision apocalyptique de saint Jean, tout comme les deux séraphins qui chantent le Sanctus, lui-même inspiré d’une précédente vision d’Isaïe (Is 6, 2-3) : « Les quatre Vivants portant chacun six ailes, sont constellés d’yeux tout autour et en dedans. Ils ne cessent de répéter jour et nuit : ‘saint saint saint Seigneur Dieu maître de tout, il était, il est, il vient ’ » (Ap 4, 8). Le flottement temporel engendré par les références textuelles est délibéré. L’ensemble des figures se veut la déclinaison d’un seul et même Verbe apparaissant sous toutes les formes qu’il a prises au court du temps, Verbe créateur et juge du début et de la fin du monde, lux mundi dans le prologue de saint Jean, visions d’Ezéchiel et d’Isaïe dans l’Ancien testament, Dieu incarné et s’exprimant en quatre voix distinctes dans les Evangiles, et Christ de gloire dans le livre de l’Apocalypse. Ce Christ lumière résonne aussi sur l’autel.
Placés sous cette synthèse théophanique des formes que prend le Verbe dans l’histoire, la Vierge et saint Jean sont disposés de part et d’autre de l’étroite fenêtre axiale ; ils sont accompagnés, sur les côtés d’un collège apostolique constitué de Barthélémy, Thomas, Jacques et Philippe. Cette fenêtre étroite créait, à l'origine, un axe de lumière naturelle au sein de la fresque qui, par sa verticalité ordonnait la symétrie de l’ensemble pour apparaître comme une nouvelle manifestation du Verbe dans le monde : un axis mundi refondant le monde, dont les effets sont déclinés dans les attributs que tiennent saint Jean et la Vierge.
Saint Jean fait respectueusement monstrance d’un livre fermé, que son plat de reliure orfévré (comme ceux que tiennent les Vivants dans la conque) fait intensément rayonner. Ce livre saint, lumineux et encore à écrire, constitue un premier médium de diffusion, sur terre, de la lumière divine du Verbe. La Vierge, pour sa part, soulève un récipient, plutôt une patène qu’un calice, avec la même dévotion que saint Jean, c’est-à-dire sans contact sacrilège de la main. Cette patène prend la place habituelle du calice avec lequel elle recueille parfois le sang du Christ sauveur, devenant par là-même une figure de l’Eglise. En l’occurrence, le sang est ici remplacé par une substance ocre clair d’où jaillissent des rayons en rehauts blancs délavés : en un étonnant raccourci, le peintre figure les espèces eucharistiques sous la forme d’un sang-lumière divine que l’Eglise redistribue dans la communauté des croyants.
Lors de la prière eucharistique, l’assemblée des croyants se tenant face à l’autel et donc face à la peinture, se joint à l’acclamation angélique du Sanctus, en miroir des figures qui sont sur l'abside, pour constituer un peuple de Dieu réuni dans la lumière de son Sauveur. Cette association entre théophanie et liturgie à l’autel est particulièrement répandue dans les églises romanes catalanes, mais elle a la particularité, à San Climente, de s’organiser autour d’un Verbe lumière de vie, ordonnant tous les temps et tous les espaces, et source de la vie éternelle promise aux chrétiens.