La consécration du chrétien

Motif iconographique

Ce décor de mosaïque figure un faux baldaquin, doré et végétalisé, déployé sur toute la coupole du baptistère. Cette structure fait apparaître la voûte du monument comme une voûte céleste : c’est ce que signale, à la clé, le signe cruciforme couché sur un champ semé d’étoiles inscrit dans un médaillon, lui-même posé sur des étoffes plissées qui signifient les cieux dans l’iconographie antique. Ce médaillon, regardé attentivement, figure une trouée circulaire au sommet de la coupole, un oculus dont l’épaisseur rendue par un jeu subtil de liserés colorés juxtaposés (blanc, rouge, bleu sombre et bleu clair) fait apparaître le disque bleu comme un ciel présent par-delà la matière de la coupole et, donc, par-delà la voûte céleste.

Dans ce ciel supérieur rayonne le monogramme cruciforme du Christ. Celui-ci est particulier, il s’agit d’un staurogramme (relativement rare) obtenu par ligature des lettres tau et rhô que contient le nom du Christ en grec, et celui-ci se présente à la fois comme le signe de la croix, le nom du Christ abrégé et l’image synthétique du crucifié. Il est flanqué de la première et de la dernière lettre de l’alphabet grec : l’alpha et l’oméga.

Tout à la fois signe, inscription et image, ce graphème est empli de tesselles d’or sans autre effet d’épaisseur ; ce traitement, couplé aux effets de matière sur la bordure de l’oculus, le fait apparaître comme suspendu dans le vide de l’orifice, entre les cieux lointains emplis d’étoiles et le baldaquin végétalisé. Plus lumineux que les étoiles qui l’entourent et que l’or qui recouvre la structure du baldaquin, ce signe christique figure le Verbe, le Fils présenté comme le principe d’une lumière (lux) dont l’origine est hors de l’espace (par-delà l’ouverture vers les cieux) et hors du temps (placé entre l’alpha et l’omega), et qui diffuse ses rayons (lumen) sur toute la structure céleste du baldaquin pour y porter la vie : verdure, fruits, fleurs et animaux (voire Lumière comme agent dynamique).

Pensons alors au converti sur le point d’être baptisé qui, debout dans l’eau lustrale de la cuve baptismale, voyait ce signe du Christ suspendu au-dessus de sa tête alors qu’il recevait sur le front le signe de croix tracé à l’huile parfumée (le Saint chrême). Les deux signes cruciformes, l’un visible, brillant d’une lumière immatérielle, l’autre invisible, mais odorant, entraient en résonnance lors de l’expérience sublime que le nouveau baptisé faisait de l’action du divin. Sans que l’image n’agisse, ou soit nécessaire au sacrement, elle permettait toutefois au nouveau chrétien de conscientiser, par les sens, l’infusion de l’Esprit saint en lui : le moment où le Christ s’imprimait, par son signe, en sa personne pour sceller l’union au Père. Cet effet d’incorporation est décrit, dès les premiers temps chrétiens : « Vous tous en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ » (Galates 3, 27).

C’est ce que rend visible, dans le médaillon, la main divine portant une couronne de gloire sur la hampe du rhô qui, illuminée d’un halo bleuté, apparaît comme la tête du Christ. Cette couronne donnée par le Père au Fils conduit visuellement à la couronne de l’oculus qui est donnée par le Fils pour le chrétien lorsqu’il reçoit l’Esprit saint [R. Demès 2023].

L’effet d’imitation du Christ est ici puissant. Au Ve siècle encore, le sacrement du baptême avait lieu durant la Vigile de Pâques, la nuit, dans ce temps intermédiaire entre la mort du Christ et sa résurrection, car c’est ce qu’est littéralement le baptême, une résurrection sur le modèle de celle du Christ : « Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle » (Rm 6, 4). Cette vie nouvelle n’a rien de symbolique, il s’agit d’une conversion de l’essence de la personne qui animée d’un principe vital supérieur (l’Esprit saint) devient un néophyte (une nouvelle plante). C’est bien ce que montrent les montants du baldaquin apparaissant comme des rayons d’or porteurs de lumière et de vie, diffusé par le Verbe et descendant au sol vers ce néophyte.


Rédaction

Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « La consécration du chrétien » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 21 novembre 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/1326