Le geste comme signe d’intention
Motif iconographique
Caïn et Abel, disposés sous deux arcatures, sont séparés l’un de l’autre par un pilastre cannelé dans l‘axe duquel la main de Dieu sort des nuées. Conformément au texte biblique, elle se dirige vers Abel pour accueillir l’agneau présenté en sacrifice et se détourne de la gerbe de blé élevée par Caïn. La position et le mouvement des corps des deux frères, de même que l’animation de leurs vêtements, sont strictement symétriques. On notera toutefois que pour le vêtement d’Abel et le voile portant l’offrande, la pierre a été travaillée par un jeu de plissés rendant l’étoffe plus fine et plus légère. De même, un filet de trous de trépan disposé sur l’ourlet du voile et du manteau rend cette étoffe plus précieuse et sans doute plus lumineuse. Le vêtement rend compte, à l’extérieur, de l’état intérieur, spirituel, de chacun des personnages. Ce n’est donc pas l’attitude rituelle des deux frères qui les distingue, mais la façon dont ils s’engagent, intérieurement, dans leur relation à Dieu.
Si la nature des vêtements signifie l’état spirituel des personnages, l’inscription des gestes dans l’espace architectural fait état des intentions des personnages. L’agneau que présente Abel vient se porter au contact de l’intrados de l’arc qui le surplombe et que franchit, en revanche, la dextre divine sortant des nuées. Le phénomène est strictement inversé du côté de Caïn dont ce sont, cette fois, les épis de blé qui, en semblance des doigts divins, franchissent les trois lits de pierre jusqu’à l’extrados, sans réussir à pénétrer dans le champ dédié à Dieu. Caïn, aveugle à Dieu et à lui-même, est incapable de mesurer la distance qui le sépare de Dieu, et se croit autorisé à agir comme son Créateur, à abolir la frontière qui l’en sépare.
Le positionnement et les gestes de l’ange et du démon des écoinçons renchérissent sur les différences d’intention. Le Diable couvre de son corps les trois lits de pierre de l’arc, jusqu’à la limite de l’intrados, à la manière de la gerbe de blé que tient Caïn. Au contraire, l’ange de gauche ne déborde pas du champ qui lui est attribué : il pose son index sur l’extrados de l’arc, pour rappeler que l’offrande d’Abel ne franchit pas la limite, mais que Dieu vient la chercher. La distance entre l’humain et Dieu n’est donc réductible que par le divin, qui exprime ainsi sa volonté de répondre à l’humain conscient de son humble statut de créature. Toute tentative de transgresser cet écart ontologique est sacrilège et vain, et sera compris, par la tradition, comme une manifestation d’orgueil.