Les miracles comme signes du Salut

Motif iconographique

Les deux défunts pour lesquels le sarcophage a été réalisé sont représentés, au centre du registre supérieur, comme des romains éduqués, ce que confirme la commande faite aux sculpteurs, qui se révèle d’une grande qualité intellectuelle. Le défunt, ceinturé par son épouse, tient un rotulus, c’est-à-dire un support textuel, et, de sa main droite aux deux doigts tendus, il fait un geste oratoire qui le met en position de locuteur, témoignant d’une foi chrétienne qu’il présente, à travers le sarcophage, comme une connaissance théologique en même temps qu’une adhésion à une vérité.

Sous le clipeus, en équivalente centralité, est figuré l’épisode vétérotestamentaire de Daniel dans la fosse aux lions (Dn 6). Il s’agit de l’une des plus anciennes et diffusées des préfigurations de la résurrection du Christ, avant que l’Occident n’accepte une figuration de l’infamante crucifixion et n’invente des images pour la Résurrection elle-même. Daniel, éphèbe figuré debout entre les deux félins sur le sarcophage, est descendu dans une fosse pour y être dévoré par les fauves ; comme le montre l’attitude de ces derniers, calquée sur le modèle oriental d’un « maître des animaux », le prophète ressort vivant de la fosse, de la même façon que le Christ remontera des enfers. Sur la gauche, richement vêtu, se tient vraisemblablement le roi Darius. Il fait le même geste de locution que le défunt, prophétisant que Dieu va sauver Daniel, anticipant l’effectivité de la puissance divine ; de l’autre côté, se tient Habacuc apportant à manger à Daniel sur la requête d’un ange qui l’a transporté dans les airs. Le miracle figuré sous le clipeus n’est donc pas représenté pour lui-même, mais pour ce qu’il annonce, et surtout pour ce qu’il explicite à la fois le plus grand mystère du christianisme - la Résurrection est annoncée et elle est le chemin permettant d’échapper à la mort – et à la fois le plus important des témoignages de vérité : une nouvelle vie est proposée qui se nourrit de biens strictement spirituels. La fonction majeure du miracle n’est pas de convaincre, mais, en tant que signe, d’enseigner sur la nature et sur l’objet de la puissance divine.

Sur la gauche du registre supérieur, est figurée la première Trinité de l’art chrétien, une mise en scène liée au contenu dogmatique du Concile de Nicée affirmant la consubstantialité des trois personnes trinitaires : trois figures barbues très similaires y sont accolées, dont le Père, assis sur un trône. Cette Trinité crée Adam et Ève selon un processus très précisément établi. L’Esprit se tient à l’arrière du Père. Le Père, au centre, agit par la parole, comme l’indique son geste oratoire ; ses deux doigts tendus sont posés sur l’épaule du Fils, point de départ d’un bras en action qui façonne et anime les êtres humains. Le Père crée donc par le Fils-Verbe, auquel il délègue l’acte de création, ainsi que cela est affirmé dans le Credo.

Cette scène de vitalisation est complétée, sur sa droite, par une scène aussi ambiguë qu’inhabituelle : un Dieu imberbe, le Fils-Christ, remet à Adam un épi qui est le matériau qu’il devra cultiver pour se nourrir, et à Ève, il adresse une peau d’agneau qu’elle sera condamnée à tisser pour se vêtir. La scène est flanquée par le serpent de l’Arbre de la connaissance, qui rappelle que ces labeurs sont conséquents à la désobéissance à la loi formulée par Dieu. Dans le même temps, cette figuration pose le Fils-Christ en dispensateur de bienfaits qui donnent aux humains la possibilité de survivre sur terre. En d’autres termes, le Dieu-Fils dessine un horizon d’espérance. Cet horizon est confirmé par les trois miracles dispensateurs de vie qui sont figurés dans la partie droite du registre supérieur :  les Noces de Cana, la Multiplication des pains et poissons et la Résurrection de Lazare. Les trois miracles christiques sont, cette fois encore, les signes de la puissance divine, mais plus avant, ils révèlent le sens que la volonté et la puissance de Dieu donnent à l’histoire du monde. Plus que des annonces ou des témoignages, plus que des preuves, les miracles sont des explicitations.

Sous la Trinité démiurgique et sous l’affirmation de la responsabilité humaine dans sa propre déchéance, est figuré un autre miracle, celui de l’étoile guidant les mages venus d’Orient vers l’Enfant Jésus. L’étoile est représentée à trois reprises, référence directe à la Trinité supérieure. Cette étoile naît historiquement de la Vierge : le Fils incarné dans un corps humain, qui se donne à voir, non pour lui-même donc, mais pour l’ensemble de la Trinité. Cette étoile a été prophétisée par l’oracle du personnage qui se tient derrière la Vierge à l’enfant : le devin Balaam, qui a annoncé la naissance du messie comme une étoile issue de Jacob (Nb 24, 17-18). Placé à la verticale de l’Esprit saint, l’oracle de Balaam est une manifestation miraculeuse de l’action de la troisième personne trinitaire, dont le rôle est d’inspirer la vérité de Dieu, mais aussi de rendre apte à la voir et à la comprendre. C’est ce qu’explicitent le miracle de la Guérison de l’aveugle par le Christ qui jouxte l’Épiphanie, mais aussi les trois épisodes de la vie de saint Pierre, dont le dernier est un miracle apocryphe (une source jaillit dans la prison où est enfermé saint Pierre ; il y baptise ses codétenus). En affirmant l’égalité des trois personnes trinitaires, sont démultipliées les fonctions des miracles divins : attester de la puissance du Père, porter la lumière de la Vérité incarnée dans le Christ, éclairer l’intelligence de ces signes par l’Esprit saint, condition de l’efficacité que ces signes prendront dans la construction et le devenir communautaire.


Rédaction

Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « Les miracles comme signes du Salut » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 02 décembre 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/1173