Préfiguration du sacrifice du Christ

Motif iconographique

La lecture typologique de la Bible qui cherche dans l’Ancien Testament les événements ou les personnes annonciatrices du Nouveau Testament est particulièrement développée en ce qui concerne le sacrifice du Christ sur la croix, apax et pivot de l’économie chrétienne.

La lettrine historiée « T », la plus grande des initiales historiées du manuscrit, occupe la majeure partie de la page. Autour d’elle se déploient les autres lettres des mots « te igitur », le e et le i à droite, le i, le g, le t, le v et le r à gauche. Le te igitur est la prière qui ouvre le Canon de la messe, soit la partie la plus importante de la célébration car c’est alors qu’a lieu la consécration eucharistique, réactualisation du sacrifice du Christ sur la croix. Par son programme iconographique, la lettre propose une réflexion centrée sur le sacrifice christique, dont les chrétiens identifient l’annonce un peu partout dans l’Ancien Testament.

Dans le « T », quatre miniatures sont visibles : trois en haut et une en bas de la jambe de la lettrine. Dans la partie supérieure sont placés trois personnages de l’Ancien Testament : Abel, à gauche, apporte une chèvre ; Abraham, à droite, un bélier ; au centre, Mélchisédech bénit du pain et du vin. Au-dessus du T, la dextre divine confirme les offrandes. Au bas de la hampe du T, deux taureaux sont entrelacés. Ces deux taureaux renvoient eux aussi au sacrifice, référence aux taureaux de la Mer d’airain, large vasque remplie d’eau placée devant le temple de Jérusalem – elle permettait aux prêtres de faire leurs ablutions avant d’entrer dans le temple pour y offrir les sacrifices à Dieu, et elle était posée sur douze taureaux qui regardaient vers les quatre point cardinaux (1 R 7, 23-26 et 2 Ch 4, 2-5).

Les trois hommes sont, dans la tradition vétérotestamentaire comme dans l’exégèse chrétienne, des figures du juste sacrifice : Abel par opposition à son frère Caïn (Gn 4, 1-15) ; Abraham car il n’a pas refusé de sacrifier à Dieu son fils – annonçant ainsi le don de Dieu à l’humanité (Gn 22, 1-14) ; Melchisédech qui est mentionné à deux reprises comme grand prêtre de Dieu (Gn 14, 18-20 ; Ps 110, 4). La lettre aux Hébreux mentionne explicitement ce dernier comme précurseur du Christ (He 7, 1-20). La main descendant du ciel au-dessus de Melchisédech confirme que ce dernier a été consacré par Dieu lui-même. Elle manifeste également ce qui se joue lors de la consécration eucharistique : par le biais du prêtre, l’Esprit de Dieu vient changer le pain et le vin en corps et sang du Christ. Selon un jeu d’anticipation similaire, les trois personnages sont mentionnés dans le texte qui suit la lettrine.

Dans la page du sacramentaire, c’est la lettre « T » elle-même qui lie les sacrifices de l’Ancien Testament avec celui de la messe. En effet, par sa forme et son ornementation, le T rappelle les croix de procession richement orfévrées. La lettre signifie donc par métonymie le sacrifice du Christ, sacrifice efficace, préfiguré dans l’Ancien Testament et réactualisé lors de la messe.


Rédaction

Mecthilde Airiau, Paloma Pucci / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Mecthilde Airiau, Paloma Pucci / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « Préfiguration du sacrifice du Christ » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 03 décembre 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/1165