La délégation apostolique de l'autorité christique
Motif iconographique
Quoiqu’assez fidèle à l’iconographie des cycles christologiques dans les manuscrits du Moyen Âge central, cette peinture propose un commentaire relativement clair sur l’enjeu de l’articulation entre le moment où le Christ monte au ciel, le jour de l’Ascension, et celui où il fonde son Église sur terre, le jour de la Pentecôte.
Au registre supérieur, le Christ triomphant se détache sur un champ vert inscrit dans une mandorle orange et rouge que saisissent deux anges pour la porter au ciel. Les disciples observent la scène. Parmi eux, en haut, saint Pierre, chef de l’Église nouvelle, reconnaissable à la clé du royaume qu’il porte, pose son attribut sur la bordure servant de frontière entre les deux registres pour signaler que son rôle concerne la terre. Face à Pierre, Paul presse deux livres contre lui – les deux Testaments. Il porte un nimbe qui le soustrait à la figuration littérale de l’épisode auquel n’assistent, de fait, que onze apôtres. Pierre et Paul, les deux humains sur lesquels reposera l’institution ecclésiale sont donc déjà identifiés, c’est-à-dire choisis par Dieu, au registre supérieur.
L’entremise des couleurs sert à figurer le processus de délégation. L’enlumineur utilise la couleur verte de la mandorle du Christ pour peindre la colombe l’Esprit saint au registre inférieur. L’Esprit saint, en remplacement du Christ dans l’image, agit au sein des êtres et de la communauté. Elle est la source des langues de feu qui se déposent sur les disciples. Pierre est à nouveau figuré avec sa clé – la clé du Paradis, et la lourde responsabilité afférente (Mt 16, 18) –, mais Paul tient cette fois un rouleau dont la structure continue évoque plutôt l’écoulement de la parole de la prédication que la diffusion de la mémoire et du témoignage qu’évoquent les livres, et tout particulièrement ceux que tiennent les deux autres apôtres sur la droite.
Cette transmission des textes en même temps que l’Esprit saint qui en permet la juste compréhension se déploie au sein d’espaces liés et polarisés. Au registre supérieur, le Christ monte dans un ciel figuré comme une nappe se repliant sur elle-même pour, tout à la fois, accueillir le Christ et le voiler aux yeux de ses disciples. À ce mouvement ascendant répond en symétrie la descente de la colombe de l’Esprit saint au registre inférieur pour créer le pont entre le ciel et la terre ; mieux, par le relais de l’Esprit et de ses langues de feu, Dieu lui-même prend place en chacun des apôtres, dans une démultiplication des corps-temples où peut s’opérer la théophanie, la rencontre avec un Dieu rendu visible.
Enfin, le territoire au sein duquel est affirmée cette présence du Dieu vivant et agissant parmi les hommes est lui-même qualifié par la couleur verte, celle des deux bandeaux apposés sur le fond or pour déterminer aussi bien l’assise (et donc l’autorité) des apôtres en leur servant de banc, que le sol (et donc l’endroit) où les apôtres fondent la nouvelle église. La légation spirituelle du Christ aux apôtres engendre donc une institution qui est d’abord un lieu saint, car un lieu de présence divine. Il recouvre la terre impure du monde terrestre et, substantiellement semblable au ciel, il est le point de départ d’une voie qui va de la terre vers le ciel. Il s’agit là d’une sorte d’exégèse visuelle de la clé que saint Pierre tient à la main à deux reprises dans la peinture : l’institution d’une communauté spirituelle sur la terre organisée dans ce territoire de vie qu’est le Christ et agissant par délégation de ses pouvoirs spirituels.