Préméditation du jugement à venir
Motif iconographique
Le temps liturgique, rendu sensible lors de la célébration de la messe, est condensé dans le rituel de l’eucharistie, ici figuré à l’instant de l’élévation de l’hostie. Ce rituel opère une articulation complexe de différentes temporalités : la répétition du sacrifice du Christ concentre le temps vécu en un événement unique, qui domine et résume tous les autres temps. Commémoré chaque jour par l’Église, ce sacrifice rend possible le passage du monde présent au monde à venir, c’est-à-dire la fin des temps, à laquelle les fidèles sont exhortés à se préparer. Les différents registres de l’image donnent à voir la venue de ces temps derniers.
Le terme du temps historique est représenté dans le cadre principal : il s’agit du Jour du Seigneur, ultime intervention de Dieu dans le temps de l’histoire, que le culte annonce jusqu’à ce qu’il vienne (1 Co 11, 26). Le Christ, vers lequel le prêtre officiant lève les yeux, apparaît glorifié, sous les traits du Fils de l’homme, entouré de la cour angélique et de saints en prière. Cette théophanie a lieu dans le monde, lors du dernier jour où les êtres humains, ressuscités dans leur corps de chair, seront jugés, quelle que soit leur condition : hommes et femmes, clercs et laïcs, faibles et puissants sont égaux devant ce jugement.
Ce dernier jour ouvre aux chrétiens l’entrée dans l’éternité de Dieu, qui est visible dans la partie haute de l’enluminure : elle prend la forme d’une vision béatifique, contemplation éternelle de la gloire de Dieu, sans que le passage du temps ne soit plus marqué. Contrairement au temps terrestre, historique, qui est borné par les limites des cadres, le temps de Dieu s’affranchit de tous les marqueurs de la durée. Les mauvais chrétiens, eux, sont voués à basculer dans une autre éternité, celle du châtiment qui les attend aux enfers, visibles en bas de l’image.
Cependant une certaine porosité existe entre ces différents espaces, que traduit la circulation des anges et des diables qui portent les âmes des défunts, soit vers le paradis, soit vers l’enfer. En outre, l’angle inférieur gauche figure le Purgatoire, où les âmes doivent se purifier des péchés insuffisamment expiés. Le sang du Christ qui s’écoule de l’hostie permet de sauver ces âmes, dont certaines sont conduites au paradis par un ange. L’efficacité du sang qui lave continuellement est l’un des modes selon lesquels s’obtient le salut, que les suffrages de la communauté des vivants peuvent également obtenir.
C’est ainsi toute la temporalité du salut qui est rassemblée dans le temps du rituel, qui rappelle la présence constante du Christ sacrifié dans le siècle, dont l’imitation doit aider les fidèles à se préparer à la révélation finale.