La lumière comme médium anagogique

Motif iconographique

L’usage des verrières, c’est-à-dire de verres colorés obturant des baies, remonte à l’Antiquité et n’a jamais cessé dans l’art chrétien. Les premières verrières figurées apparaissent vraisemblablement au début de l’époque carolingienne et se diffusent au Moyen Age central. L’intérêt pour ces images colorées traversées par la lumière qui accroissent l’illumination et les effets visuels à l’intérieur des églises, s’accroît au cours du XIIe siècle et s’accompagnent d’une spéculation en partie néoplatonicienne sur la faculté de la lumière à élever l’âme du matériel vers le spirituel, l’anagogie. Initialement posée comme une extase (une élévation de l’âme vers les choses célestes), cette anagogie est comprise par les chrétiens comme le déplacement de la littéralité sensorielle vers l’intelligence spirituelle que permet la beauté : une sublimation de l’émotion esthétique en piété et acte d’intelligence.

Ce glissement de registre est revendiqué par l’inscription que Suger a fait apposer sur les portes de la basilique Saint-Denis : « Qui que tu sois, si tu veux rendre honneur à ces portes, n’admire ni l’or ni la dépense, mais le travail pour l’œuvre/l’ornementation. L’œuvre noble brille, mais l’œuvre qui brille par sa noblesse illumine les esprits, afin qu’ils aillent, à travers les vraies lumières, vers la vraie lumière, où le Christ est la vraie porte. Ce qu’est la vraie lumière à l’intérieur, la porte dorée le détermine ainsi, l’esprit engourdi s’élève vers le vrai à travers les choses matérielles, et jadis enfoncé, à la vue de cette lumière, il ressurgit ».

Pour Suger, la beauté déployée par les effets de la lumière et de la couleur est un moyen d’honorer Dieu et d’en signaler la présence, dans la mesure où la beauté est un attribut du divin ; mais sans doute inspiré par les travaux des Chartrains et des Victorins, Suger insiste aussi sur le fait que cette ornementation (lumière, harmonie, varietas) doit accompagner l’âme du monde matériel vers le monde immatériel. Cette herméneutique mêlant lumière réelle et lumière intellectuelle, est particulièrement explicite dans l’un des médaillons de la verrière dite des allégories de saint Paul. Il représente non pas une figure biblique, mais une figure allégorique du Christ, dont la poitrine est constellée d’une étoile à 7 cercles lumineux qui renferment les sept dons de l’Esprit-Saint. Liés aux sept cornes et aux sept yeux de l’Agneau qui « sont les sept esprits de Dieu envoyés sur terre », (Ap 5, 6), ils renvoient à un Christ apocalyptique qui ouvre les sceaux et dévoile le sens caché des Ecritures. Contrairement à l’iconographie traditionnelle de l’Eglise et de la Synagogue, qui présente souvent la Synagogue dans l’ignorance, avec des yeux bandés, ce Christ couronne l’Eglise et dévoile le visage de Synagogue, lui donnant à voir la vérité et la grâce qu’il apporte, mais à laquelle elle n'accède pas parce qu'elle ne comprend pas. La lumière et le message, le medium et les signes se superposent ici pour révéler le divin, mais à la condition que s'opère un changement de plan, une élévation intérieure : comme le dit l’inscription, elle est à la fois l’émotion de la Révélation et la faculté rationnelle à la comprendre.


Rédaction

Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « La lumière comme médium anagogique » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 01 mai 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/975