Le blanc et le noir comme signes du Bien et du Mal

Motif iconographique

La formule des septénaires est plusieurs fois déclinée dans ce manuscrit, en particulier au f. 53, où les 7 dons de l’Esprit Saint (selon Isaïe 11, 2) sont représentés par l’entremise de 7 colombes blanches tenant des phylactères inscrits. C’est cette même couleur blanche que l’enlumineur a choisi de faire ressortir au centre de la peinture du folio 110. Elle est la lumière (lux) de l’Esprit Saint, le principe du Bien et elle est attaquée de toutes parts par les 7 oiseaux d’un noir profond qui représentent le Mal prenant corps avec les péchés. Des becs des rapaces jaillissent des petites flammes de couleur rouge orangé : le feu infernal et matériel, mais aussi cet impardonnable péché contre l’Esprit Saint, précise le commentaire en néerlandais, qu’est le refus de croire dans la bonté de Dieu.

Lors de la scrutation de l’image, le regard se focalise d’abord sur la colombe centrale ; à l’inverse, il lui est impossible d’embrasser en même temps les 7 oiseaux noirs atomisés sur la circonférence de la lettrine D. L’antagonisme blanc/noir, Bien/Mal, s’inscrit d’une façon extrêmement efficace sur le fond or : le noir n’est pas seulement repoussé par la lumière blanche de l’Esprit saint, il est dévoilé par elle, puisqu’il n’est vu qu’en second. Malgré le noir envahissant, c’est donc la Bonté de l’Esprit Saint, portée par la blancheur, qui constitue la valeur première de la perception visuelle.

Comme dans tous les combats spirituels, l’antagonisme lumière/obscurité se déploie à l’image d’une conquête territoriale. Sa singularité, dans cette miniature, vient de ce qu’il est figuré comme un combat de substances. La colombe blanche n’est pas tant blanche par couleur qu’elle n’est blanche par contraste avec le fond or. Elle est en effet dessinée en réserve sur la page de parchemin dont on peut apercevoir la réglure. On notera aussi que des petits traits incisés à même l’aplat doré rayonnent à partir de la tête de l’oiseau, dont le corps est également zébré de traces d’or résiduelles : le territoire défendu par l’Esprit Saint est la lumière (le fond or) qu’il émet. De façon antinomique, les rapaces noirs semblent avoir investi le fond or lui-même, même si ce n’est pas le cas sur un plan technique. L’enlumineur a ainsi figuré un combat entre une lumière et une obscurité qu’il considère comme des substances, le fond or lui permettant de définir un territoire émanant du Bien – la lumière / bonté divine telle que réfléchie dans le monde – ici menacé par le Mal qui tente de la recouvrir.

On achèvera cette analyse en signalant que l’opposition blanc/noir, si bien explicitée par cette image, a conduit certains enlumineurs à utiliser la couleur de peau comme un signe de qualité morale et spirituelle. L’un des manuscrits les plus explicites en la matière est un livre d’images réalisé pour une religieuse vers 1280-90, en Brabant ou en Hainaut : le Livre d’images de madame Marie, en (BnF, ms NAF 16251, par exemple au folio 24v).


Rédaction

Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « Le blanc et le noir comme signes du Bien et du Mal » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 01 mai 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/961