Le monde atomisé en lieux coordonnés
Motif iconographique
La carte du monde du folio 9r est une image du monde habité (l’oikoumène) qui dispose sur un même disque le savoir géographique et ethnographique hérité de l’Antiquité, l’histoire biblique et les connaissances contemporaines.
Elle est construite à partir d’une carte dite « TO » présentant les trois continents (Asia, Europa, Africa) séparés par deux bras de mer formant la lettre grecque Tau : la Méditerranée pour le fût et la mare magnum fine (souvent le fleuve Tanais et le Nil) pour la traverse. Sur l’anneau que forme l’Océan atlantique (mare oceanum) se positionnent les douze vents soufflant vers le centre du disque, pour figurer un monde pensé comme clos sur lui-même.
Le disque (en réalité la sphère terrestre rendue en deux dimensions) se confond avec le corps du Christ Logos bénissant et porteur de l’orbe gravé de la même lettre Tau : il est le maître et le créateur du monde qu’il contient. Les points cardinaux sont disposés en fonction de son corps : l’Est est placé en haut, près de la tête localisé au ciel, et l’Ouest – le lieu terrestre par excellence – est placé en bas, à ces pieds. Ce Christ, à première vue montré hors du monde, en est aussi le centre puisque Jérusalem est marquée par un disque d’or au milieu du disque terrestre. Jérusalem, lieu du sacrifice sur la croix et nouvel ombilic du monde, en tant que lieu de la Nouvelle alliance, organise l’ensemble des lieux habités de la terre.
Les implantations des lieux sur la carte (latéralisation et proximité) sont toutes posées relativement à la ville de Jérusalem et au corps du Christ, en une combinatoire de topographie réelle et symbolique. L’axe vertical est-ouest, allant de la tête aux pieds du Christ, contracte des lieux de plus en plus importants dans la pérégrination des hommes vers le salut : Jérusalem, le lac de Tibériade, les fleuves du Paradis, le jardin d’Eden. L’Orient apparaît comme le lieu du salut, là où se trouve le Paradis terrestre.
D’autres lieux sont plus éloignés du centre car plus étrangers au Christ. Les peuples monstrueux vivant aux marges du monde christianisé (sanctifié) sont uniquement répartis au sud du monde (sur tout la partie droite de l'orbe). Le royaume septentrional de Gog et Magog (Ez 38, 1-9, Ap. 20,7-8), sensé contenir les fléaux de l’apocalypse, est contenu derrière une enceinte fortifiée qui l'isole de la carte biblique (en haut à gauche de l'orbe) [D. Woodward, 1987]. L’Éthiopie (en haut à droite) est, quant à elle, simplement isolée par la mer rouge, comme le lieu mystérieux de la source du Nil, sans être coupée de la Chrétienté.
Cette vision du monde spatialisée sur l’axe du Salut, valorise la polarisation Est-Ouest que l'on retrouve dans la disposition des édifices religieux occidentaux, Jérusalem et le Paradis se trouvant dans le même lointain.