Espace comme lieu saint

Thématique iconographique

Dans le vocabulaire de la bible latine et de ses commentateurs, le lieu (locus) est un terme élémentaire pour décrire la spatialité. Il est d’abord un référent qui qualifie, en l’isolant, une portion d’espace pour en faire une position localisable, fixe et singulière. A cela s’ajoute l’idée que, comme dans la culture gréco-latine, le Monde est vu dans sa totalité comme un assemblage de lieux, que ces lieux soient juxtaposés ou imbriqués.

Les lieux de la Bible sont souvent à la fois remarquables dans le paysage et inscrits dans le temps : les accidents du paysage (gorges, grottes, vallées et montagnes) et les constructions humaines (villes et monuments) sont des sites où ont eu lieux des événements historiques. Le toponyme, le nom qui identifie le lieu, est de ce fait souvent porteur du souvenir mais aussi du sens à donner à un événement passé. Après son songe reçu de Dieu, Jacob élève la pierre qui lui avait servi de chevet (la pierre de Bethel) comme une stèle (Gn 28, 18-19) et « à ce lieu, il donna le nom de Béthel, mais auparavant la ville s'appelait Luz ». L’histoire universelle que relate la Bible offre donc aux chrétiens médiévaux une structure sur laquelle répartir tous les lieux du monde connus et habités, l’œkoumène héritée de l’Antiquité. Ce réseau trouve sa logique dans l’histoire sacrée de l’humanité (Le monde atomisé en lieux).
 
Les lieux les plus importants de la géographie biblique sont ceux où Dieu s’est manifesté. Dans l’Ancien Testament, YHWH privilégie le sommet des montagnes pour rencontrer son peuple et solidifier son alliance avec lui : le Mont Moriah, le Mont Horeb, le Mont Sinaï et surtout le mont Sion, archétype du lieu de communication avec le ciel, où YHWH fait édifier son Temple pour y fixer sa présence « au milieu de son peuple » (1R 6, 13). La communication avec le divin y est ritualisée par l’holocauste, l’offrande de victimes animales. Dans le Nouveau Testament, c'est le mont Golgotha, lieu du sacrifice du Christ sur la croix, qui prend la place du Mont Sion : il est le site mémoriel de la mort, de l'ensevelissement puis de la Résurrection du Dieu fait homme. C'est comme déploiement universel de ce lieu archétypal - un autel et un sépulcre qui est une porte vers le ciel - que se construisent les églises chrétiennes (ecclesia, templum ou domus domini). Elles conservent certains traits du Temple de Salomon sur le Mont Sion (nef, colonnes, atrium, etc.), mais elles n'en respectent pas l'exclusivité. Le sacrifice du Christ qui renouvelle l'Alliance, l'eucharistie, est rejoué quotidiennement sur tous les autels de toutes les églises chrétiennes. S'y opère un double mouvement ascendant et descendant : les offrandes des fidèles se transforment en biens immatériels pour monter vers Dieu, tandis que Dieu descend dans la matière en s'incarnant dans les espèces (le pain et le vin). Le processus (transitus eucharistique) par lequel Dieu se rend présent sur l'autel de la Nouvelle alliance et trône (sedes) au milieu de son peuple, fait de l'autel le centre de la spatialisation du sacré (L'autel, lieu du transitus eucharistique).

La capacité de réplication des églises chrétiennes organisant le territoire où vivent les chrétiens, la Chrétienté, repose sur un principe de démultiplication de lieux sanctifiés par une virtus spécifique, une trace sensible et active du divin. A côté des interventions divines attirant l'attention sur un territoire spécifique par des miracles, ce sont les œuvres saintes ou les restes saints (reliques) de figures néotestamentaires et de chrétiens dont la vertu et la spiritualité furent exemplaires, qui permettent l'établissement de nouvelles églises. Ces fondations communautaires, toujours accompagnées de la consécration d'un autel contenant des reliques, permettent d'inscrire l'histoire chrétienne dans l'espace (Fondation d'un lieu saint). Les territoires qui bénéficient de cette virtus débordent de l'édifice architectural lui-même, pour s'élargir à un périmètre qui donne lieu à une institution cléricale (paroisses, diocèses) et qui est plus ou moins marqué dans sa capacité à protéger (cimetières, oratoires, chapelles, processions sur les terres agricoles et les quartiers urbains, etc). Ce sont donc des territoires entiers qui sont christianisés autour des lieux saints. Ils ont tous vocation à s'agglomérer à un territoire spirituel unique, l’Église du Christ, dont chaque église est la manifestation sur terre, et dont le devenir est déjà écrit : l'Eglise céleste (Les lieux saints constitutifs d'un territoire spirituel unique).

Ces lieux, communautés inscrites sur un corps saint et réunies autour d'un Dieu présent sur l'autel, constituent les nœuds d'un maillage universel, horizontal et vertical, qui structure l'expansion de la Chrétienté dans le monde.


Rédaction

Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « Espace comme lieu saint » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 01 mai 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/899