Mutation comme création

Thématique iconographique

Hugues de saint Victor, dans le De Sacramentis, établit le processus démiurgique comme mutation. Dans les six modes opératoires qu’il décrit, le premier, et le plus important sans doute, est le pouvoir de créer quelque chose à partir de l’inexistant (Rm 4, 17) « (Dieu) appelle les choses qui ne sont pas à être » : la Parole créatrice de la terre et du ciel (Gn 1,1) est, dans cette perspective, un hapax. Une fois la matière et sa spatialité engendrés et le monde entré dans le temps divin (une orientation de la Création), le récit de la Genèse du monde se décline en successions de transformations.

L’ensemble des actions présidant à la création du monde relèverait donc de ces modes opératoires ; un exemple emblématique serait la formation du corps d’Adam à partir de la glaise. Cette transformation de la terre en chair –  abondamment glosée dès Tertullien, puis Isidore de Séville qui rapproche les termes homo et humus (Étymologies, 1, 4) – correspond à un autre mode opératoire divin : transformer une chose inférieure en chose supérieure, ici la terre inerte en corps animé.

La création divine demeure le prototype achevé et le modèle de tout acte créateur ; à l’homme, toutefois, n’est échue que la capacité de modeler, façonner et créer à partir d’une matière pré existante. Il ne peut qu’agir sur ce qui existe déjà, en modifiant sa forme comme le fait l’artiste qui modèle une œuvre à partir des composantes matérielles présentes dans la Création (pierre, bois, etc). Il existe une gradation, qui persiste tout au long du Moyen Âge, entre les activités purement manuelles, aux prises avec la matière seule, et les arts libéraux, seules sciences reconnues jusqu’au Moyen Âge central, dans lesquelles la théorie éclaire des pratiques qui justifient, en retour, l’existence de théories scientifiques. Les activités manuelles et techniques connaissent une revalorisation partielle  au cours des XIIe et XIIIe siècles, où elles sont largement redéfinies, sur le modèle des arts libéraux, comme sur celui des arts mécaniques.  

La valeur de l’acte créateur en contexte chrétien dépend donc, in fine, autant de la maîtrise technique que de la qualité de la source d’inspiration : raison et esprit. Les formes les plus nobles de l’activité humaine et celle du démiurge à l’oeuvre partagent ainsi des traits communs dans l’iconographie : Dieu est parfois figuré sous la forme d’un géomètre qui construit le monde, comme le ferait l’enlumineur avec ses instruments de mesure et de réglure. Ancrée dans le meilleur de l’homme, c’est-à-dire dans une âme éclairée par l’Esprit saint, et réalisée par l’entremise d’un corps – la main, la voix, etc. – guidé lui aussi par l’Esprit, la création humaine est ainsi la prolongation de l’acte créateur divin.

Dans ce cadre de pratiques et d’enjeux spirituels de la transformation, l’alchimie occupe une place paradoxale, tant elle entre dans les profondeurs, les arcanes, des lois de la création : ses principes de transmutation se basent sur les lois de génération et de transformations qui régissent la nature (notamment la génération des métaux, décrite par Albert le Grand comme analogue à celle du fœtus), tout en cherchant à les comprendre et à les manipuler.


Rédaction

Marion Loiseau / Direction scientifique Sébastien Biay, Isabelle Marchesin


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Marion Loiseau / Direction scientifique Sébastien Biay, Isabelle Marchesin, « Mutation comme création » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 27 décembre 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/850