Vision comme projection

Motif iconographique

Au premier plan du champ pictural, une femme, sans doute Marie de Bourgogne, suit le texte d’un livre d’heures. Son index pointe la lettrine historiée de l’Obsecro te Domina sancta maria, prière récurrente de la dévotion mariale dans les livres d’Heures de la fin du Moyen Âge. Une fenêtre marque le basculement vers un autre lieu de l’image, celui de l’intérieur d’une église, dont la voûte se confond avec le cadre de la fenêtre, comme si le personnage se situait dans une tribune à l’ouest de l’édifice. Le dédoublement du champ pictural rend compte du processus visionnaire en cours : Marie de Bourgogne est représentée deux fois, dans le cadre de sa prière, au premier plan, en lecture de son livre et accompagnées d’artefacts au fort symbolisme chrétien, qui contribuent à l’activation de la bascule dans l’expérience spirituelle ; au second plan, Marie de Bourgogne est figurée en adoration, mains jointes devant la Vierge à l’Enfant, avec ses suivantes. Ce dédoublement explicite le mécanisme visionnaire : Marie s’est extraite de son temps et de son lieu pour se projeter dans un temps et un lieu recomposés par sa mémoire et son imaginaire [E. Inglis, 1995].

Dans le champ de la vision, la sacralité mariale est marquée, en avant de l’autel et du retable qu’il porte, par un tapis dont les quatre coins sont occupés par des anges tenant des cierges et par un diacre qui l’encense. Au cœur de cet espace, apparaît la Vierge en majesté, tenant sur ses genoux le Christ enfant, tous deux mis en valeur par les effets de la perspective et par la lumière tombant des baies de l’église où se déroule la scène. Outre les figures en prières – Marie de Bourgogne et ses suivantes – on remarquera la présence de deux personnages en conversation et d’un chien allongé au sol. Cet effet de réel est repris dans la configuration de l’autel et du retable, inscrits dans un chœur délimité par des colonnes surmontées d’anges. La Vierge et l’enfant qu’elle offre au regard ne relèvent donc pas, pour leur part, d’un processus de remémoration du monde sensible ; ils sont l’image vivante de l’autel du sacrifice, reconstruits en imagination à partir de l’expérience quotidienne et liturgique du sacrement, dans le cadre de l’expérience visionnaire.

Le spectateur est ainsi mis en situation de comprendre les effets de la méditation sur le texte et l’image : il voit la dévote en acte qui lui sert de guide; il perçoit l’écart entre le lieu où elle se tient et l’image spirituelle qu’elle produit ; il comprend que la liturgie en acte dans l’église est une présentification du divin ; il comprend aussi que la contemplation d’un livre d’Heures est en quelque manière une façon de rejouer la liturgie dans une démarche individuelle. Tous ces procédés de mise en abyme suivent l’axe qui va dans la profondeur de l’image, à travers la fenêtre, et jouent sur les dédoublements progressifs des personnages et des objets.


Rédaction

Nicolas Varaine (avec la participation de Nancy Thebaud) / Direction scientifique : Sébastien Biay, Isabelle Marchesin


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Nicolas Varaine (avec la participation de Nancy Thebaud) / Direction scientifique : Sébastien Biay, Isabelle Marchesin, « Vision comme projection » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 01 mai 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/837