Transformation par l'imitation spirituelle

Motif iconographique

Cette image constitue une variation sur le sujet de la vision de saint Bernard, qui, selon la tradition, alors qu’il était en prière, aurait eu la vision du Christ sur la croix ; le Christ se serait penché pour l’embrasser. Ce feuillet, destiné à la contemplation individuelle, figure un homme identifié comme saint Bernard, abbé de Clairvaux et une nonne, tous deux agenouillés en prière de part et d’autre d’un Christ en croix. La tête du Christ retombe sur sa poitrine. Son corps est tout entier écarlate, imprégné jusqu’au nimbe du sang qui coule en flots abondants de ses plaies, ce qui tranche avec le vert de la couronne d’épines. Bernard entoure de son bras les pieds du Christ, tandis que la nonne embrasse la croix. Ils ne sont paradoxalement pas touchés par le sang du Christ qui se répand en flaque sur le sol entre eux ; le même pigment rouge se retrouve toutefois sur les lèvres des deux personnages et sur la crosse de Bernard qui, piquetée de rouge, semble elle-même saigner.

Une distinction est opérée entre les deux personnages. Suivant en cela la tradition iconographique dominante, saint Bernard est en contact avec le corps du Christ. La crosse, par sa taille, sa courbe imitant celle de la figure du Christ et par le matériau dont elle est constituée - le même que la croix - met en lumière le rôle d’intermédiaire de l’abbé de Clairvaux, tant par son ministère pastoral que par la prière. La religieuse, outre sa taille moindre, ne touche que le bois de la croix, ce qui la place dans la lignée d’un autre modèle de dévotion, celui de Marie-Madeleine : celle-ci en effet, lors de la Crucifixion et de la résurrection, ne touche pas le corps du Christ.

Il est possible que la moniale évoque la commanditaire de la peinture, mais sa différence de position avec saint Bernard ne saurait faire oublier que l’un et l’autre des personnages sont placés dans une identique dévotion, et surtout, qu’ils ne sont pas touchés par le sang lui-même : peut-être une insistance sur l’effet de purification sur les croyants qu’induit le sacrifice du Christ, sur un modèle eucharistique qui donne une dimension sacramentelle à la scène. Cette vivification opérée par le sang transparaît dans la fluidité des plis des vêtements des deux dévots, rappel visuel de la transformation intérieure [J. Hamburger, 1997]. La vision partagée par les deux personnages met ainsi en œuvre leur transformation à travers leur vision du sacrifice au présent, et leur identification mystique au Christ dont le sang versé a permis la purification des corps.


Rédaction

Nicolas Varaine (avec la participation de Nancy Thebaud) / Direction scientifique : Sébastien Biay, Isabelle Marchesin


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Nicolas Varaine (avec la participation de Nancy Thebaud) / Direction scientifique : Sébastien Biay, Isabelle Marchesin, « Transformation par l'imitation spirituelle » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 01 mai 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/832