Sacré
Rubrique
Le sacré n’est pas un concept de la théologie chrétienne en soi, contrairement à la sainteté qui, elle, peut être définie de manière stable. La notion de sacré a d’ailleurs beaucoup été travaillée pour être objectivée, sous l’angle de la religiosité, un trait que toutes les cultures auraient en partage, et dont on pourrait tirer une définition anthropologique valable pour toutes les sociétés [M. Mauss, 1909, E. Durkheim, 1912, M. Eliade, 1965], y compris pour le Moyen Âge [A. Dupront, 1987]
Cette rubrique ne tente pas d’objectiver le sacré en tant que numineux, c’est-à-dire en tant que sentiment (ou conscience irrationnelle) que l’humain peut avoir d’être une créature et que son créateur est la cause absolue de son existence et de son environnement, sentiment dont naîtrait la pratique religieuse [R. Otto, 1929]. L’OMCI qualifierait ce sentiment de vision intellectuelle du divin par participation. Cependant, la conscience médiévale n’a aucun moyen d’objectiver le religieux, elle qui est circonscrite par un horizon de pensée et de science indépassable, à l’intérieur duquel le divin est principe et cause de tout, perpétuellement présent, partout, à égalité d’intensité. L’OMCI, qui place son point de vue à l’intérieur de cette sphère épistémologique, étudie donc le sacré uniquement comme un résultat du lien entre l’humanité et Dieu. À ce niveau d’analyse, il apparaît que les médiévaux produisent, consciemment, du sacré, et cela en très grande quantité.
Le sacré résulte du plan divin, celui qui donne un sens et une finalité à la création : sa restauration dans l’éternité de Dieu après que l’humain y a introduit le mal et la mort en commettant son premier péché. Ce phénomène de sanctification est amorcé au moment où Dieu donne en sacrifice son propre fils, le Verbe incarné en la personne de Jésus Christ, la victime la plus pure qui soit. Ce sacrifice est définitif et absolu, il abroge l’holocauste perpétuel au Temple qui fondait l’Ancienne Alliance. La Nouvelle Alliance est la promesse que la sainteté divine irrigue désormais le monde pour en chasser le Mal et vaincre la Mort. Au moment de la mort du Christ sur la Croix, Dieu donne un signe fondamental pour comprendre ce sacrifice : le voile du Temple se déchire (Mt 27,51). Ce voile du Saint des Saints, c’est-à-dire le lieu le plus pur qui soit dans le monde hébraïque, derrière lequel Dieu, présent dans sa sainteté, était radicalement isolé de l’impureté du monde et de l’humain, s’est ouvert pour que la sainteté se répande et purifie le monde. Les chrétiens y lisent la promesse de la restauration du monde et de leur corps, l’autre signe suivant immédiatement étant la résurrection des morts (Mt 27, 52) qui annonce la défaite de la Mort.
Ainsi, la ségrégation perpétuelle entre le pur et l’impur sous le régime de l’Ancienne Alliance, qui garantissait l’équilibre entre l’humain et Dieu, l’humain se purifiant perpétuellement pour se rapprocher de Dieu, est renversée, puisque c’est désormais la pureté qui sanctifie le monde et appelle l’humain à se conformer à ce mouvement pour participer à la sainteté de Dieu.
C’est dans ce phénomène que le sacré s’instaure dans le monde, par l’action humaine, grâce aux sacrements légués par le Christ à son Eglise pour garantir le renouvellement de l’Alliance. Ce legs assure au peuple de Dieu, par médiation de ses ministres, l’action de sa volonté dans le monde qui transforme la matière peccamineuse en une matière consacrée et liée à son essence éternelle (Sacré comme essence).
Ce qui est lié à cette essence est voué à Dieu, par sa volonté, et ne peut être repris, sans sa volonté. Comprenons donc le sacré comme le produit d’un retour progressif, mais inéluctable, de la création à son créateur, jusqu’à la victoire finale du Christ sur le mal, juste avant le Jugement dernier. Avant cela, dans le temps du cheminement de l’Église vers son salut, le sacré, qui signale ce retour du monde et des personnes à Dieu, s’accumule en accompagnant la croissance sans limites de l’Église et de son territoire (sacré comme transfert ver le divin).
Le sacré doit enfin être compris en comparaison de ce qui est saint. La sainteté est donnée par Dieu, le sacré est accepté par lui. La différence, bien que floue au niveau de la terminologie, est nette au niveau ontologique. La nature de l’être saint est transformée, unie à Dieu, alors que le sacré ne cesse pas d’être ce qu’il est. Le sacré est en cela provisoire, puisqu’issu du monde et de sa matière corruptible. Toutefois, par la consécration, qui elle est inaltérable, c’est l’identité de la chose sacrée, et non sa nature, qui se déploie dans sa relation au divin. Ainsi, le sacré, qui rend perceptible l’action divine invisible de sanctification du monde, est aussi une interface vers les Vérités divines (Sacré comme interface avec le divin).