Image comme corps
Thématique iconographique
Lieu possible d’une présentification du prototype qu’elles représentent, les images matérielles, et plus particulièrement les statues, sont le lieu d’une sorte de rejeu mineur de l’Incarnation : les statues de culte, qui possèdent déjà la tridimensionnalité des corps et peuvent être approchées par les dévots, deviennent des images miraculeuses, capables de s’animer, de se déplacer, d’agir, de ressentir. Cette présence du sacré dans l’image est le vecteur d’une sacralisation du lieu où elle se trouve. Les qualités corporelles de ces images incarnées sont parfois affirmées au point qu’elles ressemblent à des corps véritables, ou qu’elles sont traitées comme telles : la littérature médiévale abonde en exemples de statues qui répondent à des gestes ou des paroles (Du clerc qui mit l’anneau au doigt de la Sainte Vierge chez Gauthier de Coincy vers 1260), qui sont frappées ou blessées (voir les exemples cités par Jean-Marie Sansterre), ou qui reçoivent des fidèles les mêmes soins qu’une personne réelle.
Ainsi, certaines statues ou icônes (telle celle du Sancta Sanctorum à Rome qui a été progressivement dissimulée derrière des éléments décoratifs) sont habillées, manipulées, déplacées au cours de certains rites : il y a à la fois un rejeu liturgique de certains épisodes de l’histoire sainte, mais cela illustre une fois encore la considération que les Hommes du Moyen Âge accordent à l’image qui est en relation très étroite avec ce qu’elle représente. Le fait que l’on conserve pendant de longues périodes les mêmes statues de culte anciennes et réputées investies d’un pouvoir miraculeux illustre cette conception d’une image réceptacle qui devient un avatar nouveau du prototype, une déclinaison de sa présence sur terre. En cela, l’image-corps est proche de l’image-empreinte car on y voit un processus similaire qui vient inscrire la présence du sacré dans la matière. La statue devient une sorte de corps secondaire, une substitution à l’inatteignable prototype, ainsi qu’une interface de communication et de transmission de la parole, de la prière, voire de la mémoire quand l’image-corps reçoit des présents ou des offrandes.