Corps altéré
Thématique iconographique
Parce qu’il est matière, le corps est intrinsèquement inférieur à l’âme, principe transcendant qui l’anime (voir Âme comme principe de vie). Cette idée s’affirme très fortement avec la relecture des textes d’Aristote au XIIIe siècle et culmine avec l’hylémorphisme de Thomas d’Aquin, pour qui l’âme est si intimement liée à la matérialité de la chair que c’est elle qui donne ses traits au corps. Celui-ci est alors caractérisé par la passivité, qui est une condition nécessaire au bon fonctionnement de l’Homme.
Ainsi, la maladie, le péché, sont capables de modifier l’apparence du corps de manière à ce qu’elle se conforme à la disposition intérieure ; cela concerne plus particulièrement les affections qui touchent la peau, partie la plus visible du corps. Cette modification de la forme du corps est souvent mise en rapport avec la possession démoniaque qui est en quelque sorte le prototype de la maladie. Au XIe siècle, Raban Maur établit des correspondances entre l’hérésie, parmi d’autres péchés, et la lèpre. Pour Thomas de Cantimpré (De natura rerum, 1245), la dégénérescence morale résultant du péché ou de l’hérésie amène la déformation physique, et pour Roger Bacon, le péché modifie l’apparence de l’Homme, car c’est un acte contre-nature. C’est la non-conformité du corps à sa forme originelle qui signifie la dégradation de l’être ; le corps agit dès lors par lui-même et surtout pour lui-même, dans le but de sa propre satisfaction. L’âme cesse d’exercer son contrôle sur le corps.
Les discours sur la relation entre le péché, la maladie et les différentes altérations du corps sont variables et entretiennent des relations complexes tout au long du Moyen Âge ; toutefois il en résulte une constante qui fait le lien entre la laideur du corps et l’impureté spirituelle. La lèpre est non seulement assimilée à l’hérésie, mais aussi au péché de chair et à une sexualité excessive. Le péché est ici la source du mal physique. La maladie peut aussi être une mise à l’épreuve : c’est le cas pour Job et le pauvre Lazare. Dans ce dernier cas, on pose également la question de la transmission du péché, dont la lèpre est le signe : est-il hérité de ses parents (comme le voudrait la tradition médicale qui fait de la lèpre la conséquence d’un péché de nature sexuelle) ou bien le signe de la transmission du péché originel ? Ce questionnement rejoint les déclinaisons de la maladie dans les récits et les images, qui présentent différentes causes à l’altération des corps : le péché individuel ou la condition universelle de l’Homme après la Chute. C’est la profondeur du mal qui est ainsi mise en lumière, et avec elle, la possibilité ou non de la rédemption.