La chose sacrée dans sa vérité eschatologique

Motif iconographique

Sur la page de gauche, Bertin, nimbé, en tenue d’abbé et muni de sa crosse, est présenté frontalement, debout au milieu de deux autres saints respectueusement inclinés devant lui. Sur la page de droite Bertin est vêtu cette fois en prêtre (il porte la chasuble et l’étole). Il siège de trois quarts et adresse un geste de bénédiction au copiste agenouillé venu lui présenter le manuscrit ouvert. Odbert, derrière lui, le désigne de l’index comme le premier abbé du monastère et le récipiendaire de l’offrande du codex. Bertin est ainsi présenté comme abbé à gauche et comme prêtre à droite. La différence entre les statuts de pasteur et de ministre est soulignée par la décoration des parties hautes de chaque page.

Ces deux décors architecturés donnent une importante clé de lecture. Le monument circulaire placé au centre de l’horizon monumental de gauche évoque la rotonde du Saint Sépulcre. L'agneau inscrit dans son médaillon fait pourtant déborder la signification de cet édifice au-delà de la basilique historique de la Résurrection (Anastasis). Celui-ci, en posant ses pattes sur un coussin, évoque l’imagerie habituelle du trône sur lequel il s’installe au milieu de la Cité révélée à la fin des temps. Le Sépulcre évoque ici la Jérusalem céleste ; Bertin et ses disciples, dont les nimbes sont en contact avec cette cité (le médaillon de l’agneau pour Bertin, les voiles pendus aux lobes latéraux pour ses disciples) sont donc montrés comme une communauté céleste, les membres de l’Église du Christ séjournant aux cieux. Le panorama urbain de droite, bien que construit sur le même modèle de composition que le précédent, évoque un temps différent. Il est fait d’une série de monuments anguleux aux arêtes présentées au premier plan pour montrer la perspective de leurs volumes et donc leur matérialité. Ce complexe architecturé, ponctué de nombreux clochers surmontés de croix, figure les bâtiments bien réels de l’abbaye de Saint-Bertin. Ici, les têtes des deux moines contemporains, l'abbé et le copiste, ne sont pas nimbés et ne sont pas en contact avec l’architecture. Ils figurent la communauté des moines de l’abbaye réunie, au présent, autour de son saint patron, dont la présence vivante favorise l’intervention sacramentelle de Dieu figurée dans le médaillon en surplomb.

Ce diptyque enluminé juxtapose deux figures du saint afin de présenter deux édifices communautaires qui sont spatialement dissociés, mais spirituellement unis. L’abbatiale de Saint-Bertin est montrée comme une manifestation sur terre de l’édifice ecclésial céleste qu'Augustin qualifie de Cité de Dieu sur terre, dont le Saint Sépulcre est le prototype en tant que lieu de la Résurrection, et la Jérusalem céleste l'accomplissement. L’édifice sacré participe sur terre, comme chaque sanctuaire chrétien, à construire un édifice commun et spirituel : l’Église du Christ.


Rédaction

Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « La chose sacrée dans sa vérité eschatologique » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 01 mai 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/1339