L’Église comme intermédiaire de l'offrande à Dieu

Motif iconographique

Sur cette miniature de dédicace, un abbé offre un manuscrit à saint Pierre dans une église dont la volumétrie a été aplanie et rassemblée autour des deux personnages. L’abbé se tient dans la nef, devant une colonne au fût traité en aplat de vert et singularisée par son chapiteau anthropomorphe. Cette colonne figure le transept dont on reconnaît, sur la toiture, la lanterne architecturée qui marque ce volume de transition. Pierre est placé de l’autre côté de cette colonne, dans le sanctuaire de l’église dont on reconnaît, suspendue au-dessus de lui, la couronne d’autel. Derrière le saint, l’autel de l’église, surmonté d'une main divine, est logé dans une abside dont l’enroulement est présenté de face. Ce volume est marqué au niveau de la toiture, par un fronton triangulaire surmontée d’une croix acrotères.

Le passage de l’objet d'un volume à l'autre de l'édifice établit un lien entre les deux personnages : le codex offert est posé sur l’aplat de vert qui marque le fût de la colonne centrale et c'est sur le même champ vert que Pierre répond à l'offrande par un geste de bénédiction.

Bien que couverts du même fond or, les deux volumes de l'édifice ne sont pas de même qualité et accueillent des personnages de nature différente. L'abbé, à la carnation brun-rouge, appartient au monde des êtres terrestres et se tient dans la nef ; Pierre, de carnation plus blanche, donc plus lumineuse, est un être demeurant déjà auprès de Dieu, il se tient dans le chœur de l'église rendu sacré par l'autel. Le codex passe d'un lieu à l'autre, en passant des mains d'un personnage à l'autre, par le seuil que marque la colonne verte.

L'abbé, en commanditant cette miniature au début du manuscrit qu’il a lui-même offert à son église, inscrit son acte d’offrande dans la mémoire de la communauté qui a reçu le précieux livre. Or, cette miniature présente, avec une grande clarté, le mécanisme par lequel l’abbé s’est dépossédé de cet objet précieux. À droite, au sommet de l’abside, une dextre divine portant une croix surgit d’un aplat vert : elle provient d’un lieu non visible pour se manifester de manière sacramentelle sur l'autel, dans l’abside. L’aplat vert, figurant peut-être une poutre de gloire, marque un seuil exactement comme le faisait la colonne entre l'abbé et Pierre. C'est d'ailleurs cette main divine que regarde l’abbé, non le saint ou l’autel, conscient du véritable récipiendaire de son offrande. Pierre, en sa qualité de médiateur entre l'abbé et Dieu, ouvre la porte du chancel menant à l'autel. L’objet offert à Dieu, qui l’a accepté, passe du statut de bien matériel à celui de bien collectif (celui de la communauté) ; il devient un objet sacré au sens où il n’a plus de propriétaire sinon le Christ et, en ce sens, il rejoint l’autel, qui en est l’image.


Rédaction

Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « L’Église comme intermédiaire de l'offrande à Dieu » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 01 mai 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/1337