Les offrandes sans tâche à l'autel

Motif iconographique

Ce chapiteau, placé en surplomb de l’autel, présente, sur sa face tournée vers la nef, l’Épiphanie des Mages. Les trois Rois mages venus « adorer » le Christ et lui « offrir en présent (munera) de l’or, de la myrrhe et de l’encens » (Mt 2, 11) y sont disposés de part et d’autre de la Vierge à l’Enfant. Celle-ci, légendée sur son nimbe « AVTA MARIA » pour « Ave Sancta Maria », enveloppe littéralement l’Enfant de son corps ; elle se présente comme la sainte mère de Dieu, le trône sur lequel le Verbe a pris place (s’est fait chair en la personne de l’enfant) pour se rendre présent au milieu de son peuple (les Mages). Elle est le Trône de la Sagesse du Père.

Le sculpteur a ajouté deux indices rares qui orientent le commentaire visuel que fait ce chapiteau de l’épisode évangélique. En premier lieu, une dextre divine, pointée vers l’enfant, accomplit un geste de bénédiction, mais ce geste n’est pas adressé au Christ, puisque celui-ci le reproduit à l’adresse des offrandes des deux mages de gauche, alors qu’il reçoit, de l’autre main, l'offrande du mage de droite. Cette réponse des gestes fait percevoir le mécanisme d’acceptation divine des offrandes : celles-ci sont acceptées par le Père (la dextre) par l’intermédiaire de son image, le Fils (le Christ-enfant).

Ce chapiteau place donc l’offrande évangélique des Mages dans un contexte eucharistique et, plus précisément, les Rois mages agissent à l’échelle de l’oblatio populi et de l’oblatio sacerdotis, l’instant où les offrandes de la communauté étaient déposées devant l’autel, avant que la conversion des espèces n’acte leur acceptation. Ce chapiteau pouvait ainsi servir de support visuel aux fidèles au moment du Te igitur, prière par laquelle s’engage le Canon de la Messe : « Toi donc, Père très bon, (te igitur clementissime pater) par Jésus Christ, ton fils notre seigneur, nous te prions en suppliant et demandons que tu agrées et bénisses ces dons, ces présents, ces saintes offrandes (munera) sans tache ».

Si nous replaçons maintenant cette sculpture dans l’arc visuel que forme l’ensemble des chapiteaux du rond-point du chœur au-dessus de l’autel, celui-ci apparaît immergés dans un environnement visuel violent, peuplé d’êtres déformés, de monstres hybrides, de masques humains, masculins et féminins, grimaçants, et de dévorations. Cet environnement visuel, accordé au climat de supplication liturgique pré-consécration des espèces, présentait les « offrandes sans tache » qu’apportent les Rois mages, c’est-à-dire la communauté, comme effectivement arrachées aux violences mortifères d’un mundus où la chair dévore la chair, avant de supplier Dieu de les accepter et de les convertir en une nourriture spirituelle.


Rédaction

Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « Les offrandes sans tâche à l'autel » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 01 mai 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/1334