Le sacré généré par les prêtres

Motif iconographique

L’instant de la consécration de l’autel est mis en scène dans une église présentée dans sa longueur, son massif occidental surmonté d’une tour placé à gauche et son chevet à absidioles rayonnantes placé à droite. L’autel, véritable point d’articulation de la construction de l’enluminure et de son discours, est localisé au centre de l’édifice, alors que dans les faits, il se trouvait à l’entrée du chœur, dans la partie orientale. Il est abrité sous un baldaquin (ciborium) qui se confond avec l’architecture. Autour de lui se dispose l’assistance. Dans la partie occidentale, les clercs séculiers, dont plusieurs archevêques reconnaissables au pallium d’or qu’il porte par-dessus leur manteau, de jeunes clercs tonsurés et des laïcs constituent un premier groupe à la tête duquel officie le pape Urbain II. Dans la partie orientale, la communauté des moines clunisiens, moines confirmés vêtus de leur bure et diacres vêtus de blanc, sont réunis derrière leur abbé, Hugues de Cluny. L’image a pour but, comme le texte, de consigner la mémoire de cet événement très important dans l’histoire de l’abbatiale, et elle est pour cela très explicite sur la valeur de cet acte de consécration.

Le Pape, sous l’autorité du Christ, consacre l’autel en adressant un geste de bénédiction qui se superpose à la colonne du baldaquin, peinte en vert comme le manche de sa crosse qu’il pose exactement à l’angle de la table d’autel : il acte la consécration de ce lieu précis, pour en faire un lieu sacré. En cet instant, le Christ accepte d’investir l’autel. Sa présence est signalée par le calice et les deux patènes d’or, mais aussi par la lumière des sept cierges (comme le veut la tradition lorsqu’un pape officie) posés sur une nappe qui, brodée d’or, s’illumine de cette présence. Cette pierre d’autel consacrée, image du Christ et lieu de sa présence effective, est aussi la pierre angulaire dont dépend l’intégrité du monument tel qu’il nous est montré. La lumière des cierges se diffuse sur le fond or qui baigne tous les volumes de l’église. Les colonnes vertes du baldaquin sont les seuls montants verticaux à soutenir l’élévation du monument. Enfin, sous la nappe d’or de l’autel, un aplat de couleur bleue semé de touches vertes et blanches figure un motif similiaquatique qui s’écoule de la pierre sacrée pour se confondre avec la bordure inférieure, elle aussi similiaquatique, qui sert de socle à l’édifice pour montrer qu’il est investi d’une présence vivifiante.

L’autel est aussi, et surtout, le personnage central de la composition, et c’est vers lui que pointent tous les regards des membres de l’assemblée. Toute l’assistance est baignée de la lumière or et les ministres du Christ voient les attributs de leur autorité déléguée (mitres et crosses épiscopales et abbatiale, tiare pontificale, pallia archiépiscopales) illuminés de la lumière divine.  Ce lieu est rendu sacré en cet instant de la consécration, au moment même où la présence du Christ investit l’édifice et ceux qui y sont présents.

Une dissymétrie des deux acteurs principaux de la liturgie, Urbain et Hugues, prolonge le discours. Urbain en acte de consécration est montré en dehors du lieu qu’il consacre : ses pieds, chaussés d’or ne sont pas dans l’église, mais posés sur la bordure inférieure du bâtiment. Les membres du groupe des séculiers, massés dans la partie occidentale, sont pour leur part montrés comme enfoncé dans le sol du monument. En revanche, l’abbé Hugues et sa communauté de frères s’intègrent totalement dans le cadre que constitue l’édifice. Le pape institue un lieu sacramentel au sein de l’Église universelle qu’il dirige en totalité. Comme le rappelle le texte du sermon copié sur la page, le pape avait défini autour de Cluny un ban sacré (sacer bannus) où tout acte de violence était proscrit et, surtout, sur lequel les moines avaient autorité économique et judiciaire. L’abbé Hugues quant à lui pose la pointe de sa crosse sur le sol en signe d’autorité en ce lieu. Il porte également la mitre épiscopale, signe d’un pouvoir rarement conféré aux membres du clergé monastique et qui institue le lieu de Cluny comme une Église au sens plein du terme. Ce privilège confirme l’exemption dont a depuis longtemps bénéficié l’abbaye au sein du diocèse de Mâcon ainsi que la mission pastorale qu’elle assume par la possession de nombreuses églises paroissiales. Il manifeste aussi le pouvoir de consécration et d’ordination des prêtres acquis par l’abbé, d’ordinaire réservé aux évêques.


Rédaction

Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « Le sacré généré par les prêtres » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 01 mai 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/1330