Le nouveau peuple saint

Motif iconographique

Dans la partie supérieure, Marie, couronnée par des anges, partage son trône avec le Christ qui la bénit. Tous deux apparaissent comme roi et reine des Cieux au milieu d’une liturgie angélique. Ce couronnement de la Vierge, en tant que sujet iconographique, est élaboré à partir de passages bibliques décrivant des noces – notamment le psaume 45 (44) et la parabole des Vierges sages en Mt 25, 1-13 –  et parfois l’union nuptiale d’un roi et d’une reine (Cantique des cantiques) ; il est présenté et compris ici comme une noce royale et céleste entre le Christ et la Vierge.

Cette image est incompréhensible si l’on pense la relation entre Marie et le Christ sous le régime du péché, elle montrerait alors la Vierge à la fois mère (mater) et épouse (sponsa) du Christ.  Pensée sous le régime de la grâce, l’image est en revanche très claire et très efficace.

La Vierge de ce tympan est certes mère, mais elle est surtout présentée comme la mère de Dieu. Elle porte un sceptre fleuronné signe de la transmission généalogique de la lignée des rois de Jérusalem (David et Salomon, ancêtres du Christ), mais cette tige végétale est aussi le fleuron de la sagesse du Père, dont elle est le « trône », pour rappeler que c’est en elle que le Fils, le Verbe de Dieu, a pris place au milieu de son peuple en la personne de Jésus Christ. Le fleuron rappelle donc que Marie, restée vierge lors de la conception et de l’enfantement, a abrogé l’hérédité humaine, vectrice du péché originel ; en ce sens, son corps est la matrice du principe de croissance d’un peuple nouveau, dont elle a enfanté spirituellement le premier membre. Marie, en tant que personnage évangélique, recouvre par ce biais, progressivement depuis le XIe, la personnification de l’Église-Assemblée, pour proposer une seule et même figure iconographique accomplie en ce premier quart du XIIIe siècle : le Vierge-Église en tant qu’entité sacrée.

Les deux épisodes du registre médian, fruits d’une tradition apocryphe ancienne, explicitent la construction de cette figure. Sur la gauche, les apôtres déposent Marie dans son tombeau ; sur la droite, un groupe d’anges enlève Marie de ce tombeau vers le ciel. L’articulation entre la mort de la vierge et son ascension (l’Assomption) présente le corps de la Vierge comme éminemment sacré puisque celui-ci est le seul corps humain à avoir suivi celui du Christ dans la résurrection et la montée au ciel. La tradition chrétienne a donc décidé que ce corps virginal avait intégralement échappé aux lois de la corruption du monde et qu’il était réellement présent aux cieux, uni à son fils comme montré ici au registre supérieur.

L’union est pensée en termes matrimoniaux : devenue reine des cieux et reine épouse du Christ-roi, la Vierge figure d’une part le peuple chrétien retranché du monde par la grâce (puisque la matrice de son principe de croissance est présent, corps et âme au ciel) et personnifie les termes de l’union de ce peuple à Dieu : une union qui garantit que l’Église construite sur terre est unie au Royaume du Christ au ciel.

Les termes de la Nouvelle Alliance se placent, sur ce tympan, en comparaison avec ceux de l’Ancienne Alliance évoquée au registre inférieur. Sur les côtés, deux couples de prophètes se partagent chacun un phylactère : ils prophétisent sans doute la naissance virginale. Au centre, Moïse le premier des prophètes, porte les tables de la Loi et son frère, Aaron, premier grand prêtre d’Israël, flanquent l’arche d’Alliance abritée sous un édicule. Cette arche, qui était conservée dans le Saint des Saints du Temple, est ici présentée comme un prototype de la Vierge en tant que tabernacle du Verbe qu’elle a offert au monde pour sanctifier un nouveau peuple élu : l’Église.


Rédaction

Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « Le nouveau peuple saint » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 01 mai 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/1327