Les matériaux signifiants

Motif iconographique

L’écriture à l’encre d’or (chrysographie) sur des feuillets pourprés est d’origine antique. Au début du règne de Charlemagne, le scriptorium de la cour royale a produit un ensemble de manuscrits très luxueux qui en reprenait le principe, en l’adaptant à un propos théologique sur le Verbe et la lumière.

Les quatre doubles pages qui ouvrent chacun des quatre évangiles du manuscrit construisent une séquence narrative où se déploient deux récits parallèles, et dont la dernière double page, celle de saint Jean, est le point d’orgue et l’aboutissement. Le feuillet de parchemin sur lequel la figure de saint Jean est peinte a été choisi délibérément abîmé, zébré d’un pli et flétri, sans doute pour évoquer la meurtrissure de la chair dans laquelle le Verbe s’est incarné. Quant au livre, à la différence des trois précédents évangélistes, l’évangéliste Jean le tient pressé contre lui, son corps servant de pupitre à un texte qu’il a littéralement pris en lui et auquel il donne forme : le texte, qui reproduit celui qui apparaît sur le phylactère de l'aigle qui l'inspire, est inscrit à l'encre pourpre (le sang du Christ) sur le codex apposé sur le corps, de sorte que Jean fait littéralement corps avec le texte divin auquel il a donné sa formulation. Il en devient un double du Christ, un modèle du prêtre investi de la virtus apostolique, oralisant un Verbe restauré dans sa toute sa puissance divine.

Sur le feuillet en vis-à-vis, identiquement abîmé, l’or se déploie librement dans une page sans cadre (ce qui n'est pas le cas des incipits des trois autres évangiles) : lumière apposée librement sur la pourpre, sans contrainte de cadre, flottement et irisation pure à la surface du parchemin, il figure la rencontre entre le Verbe et la matière du monde, métaphore de l’Incarnation encore vivante, et sert de paradigme à l'ensemble de la calligraphie chrysographique du manuscrit.

En synthèse, le premier récit raconte la façon dont le codex, c’est-à-dire le livre manuscrit calligraphié, orné et peint – une mise en abîme des Évangiles de Saint-Riquier donc – est progressivement forgé de façon à constituer un écrin digne de recevoir la parole de Dieu ; le second qualifie le Verbe, auteur véritable de ces quatre textes, et la façon dont, entré dans le monde des hommes, il peut ensuite y être restitué par la tradition apostolique qui se prolonge jusqu’aux prêtres médiévaux qui le formulent de sorte à en faire la lumière qu'il est en Vérité.


Rédaction

Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « Les matériaux signifiants » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 01 mai 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/1200