La géométrie divine

Motif iconographique

Dans cette image, Dieu est représenté en géomètre, comme c’est le cas dans un petit corpus d’image dont les plus connues sont celles des bibles moralisées. Il entre dans le cadre de l’image et, avec son compas, vient buter sur la délimitation intérieure du cadre qui définit l’aire dans laquelle se tient le monde : la proportion du monde émane donc de Dieu, mais ne se superpose pas à lui. Le Créateur géomètre tient un compas à secteur, à savoir, non pas un compas de tracé, mais un compas servant à la mesure. C’est par ce compas de mesure qu’il impose à l’univers sa circonférence, tout en y inscrivant les proportions qui en garantissent la pérennité et l’harmonie.

La pointe du compas est en effet un premier geste. Elle détermine le centre de l’univers, son écartement en définissant l’exacte moitié. La courbure de l’arc des graduations (en rouge dans la peinture) est identique à celle du cercle qui circonscrit le cosmos : le geste de mesure qui pointe le centre établit aussi la forme : le cercle.

S’ensuivent des déploiements – projections géométriques très simples, qui explicitent le plan et la perfection divines. Le diamètre du cercle du monde, qui est défini par la position des deux pointes du compas, est une extension, selon un rapport de 3:2, du diamètre du nimbe crucifère : le cercle, forme infinie, et le 3, se référant à la Trinité, sont des qualités divines du Verbe créateur, qui engendre la forme (immatérielle) du monde matériel par l’entremise des nombres (immatériels) qu’il y inscrit. La deuxième étape est la conception du lieu où se tient ce monde, c’est-à-dire de l’aire couverte d’un fond or, au sein de laquelle Dieu inscrit sa création, mais dans laquelle lui-même n’est pas contenu, puisque son pied droit en sort de façon très visible. Cette aire investie par la lumière divine et servant de milieu au monde est proportionnelle au diamètre du monde en même temps qu’elle est une surface proportionnelle : la largeur y est établie selon un rapport de 2:1 avec le diamètre du monde, et sert de référent pour la hauteur, proportionnelle à la largeur selon un rapport de 4:3. Ces deux dernières proportions sont liées à la dilation du même (le rapport entre 1 et 2) et à la surface (le rapport entre 3 et 4, c’est-à-dire le carré / la quaternité), un régime de matérialité supérieur donc à celui du 3 qui régit le rapport entre le Verbe et le monde qu’il engendre. À terme, le peintre présente ici les trois proportions fondamentales de l’harmonie universelle, tierce, octave, quinte, à partir desquelles Dieu établit un plan divin pour le monde et son devenir, c’est-à-dire ce que raconte la Bible racontée en texte et en images dans le codex qu’ouvre ce frontispice.

En plaçant les astres à l’intérieur du système (astronomie, en plus de la géométrie), l’enlumineur rappelle que l’homme, par les arts libéraux et la science, a la possibilité de retrouver la Loi divine par l’entremise des mathématiques proportionnelles qui régissent la création. C’est donc la qualité de raison de l’artiste qui lui permet de se poser de façon analogue au Dieu artifex mundi (et de l’imaginer ainsi), lorsqu’il dessine lui-même le monde dans l’enluminure en se servant d’un compas pour faire ses reports d’angles et de courbures.


Rédaction

Mathieu Beaud et Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Mathieu Beaud et Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « La géométrie divine » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 01 mai 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/1199