L’eucharistie

Motif iconographique

La controverse eucharistique médiévale est d’une grande complexité, ce dont les images ne rendent compte que dans la mesure où elles affirment avec force le canon de la présence concomitante du divin et du matériel/humain dans les espèces, comme dans le corps du Christ. La controverse débute au IXe siècle, à propos de la nature du pain et du vin consacrés. Paschase Radbert défend l’idée qu’au moment de la consécration du pain et du vin, ces derniers deviennent identiques au corps et au sang du Christ historique, et pose l’écart entre l’apparence (la figura) et la vérité de ce qui s’opère, de sorte que les espèces sont posées en signes opérant ce qu’ils signifient : des signes performatifs (ce dont témoigne le Vere dignum du Sacramentaire de Gelonne, voir L’image-schéma théologique). Ratramne de Corbie, contemporain de Paschase Radbert, propose une vision seulement spirituelle des espèces : elles permettent de se remémorer le corps et le sang du Christ, ces derniers n’étant pas perceptibles par les sens et ne pouvant être considérés comme réels.  Le problème ressurgit au XIe, entre Lanfranc de Pavie et Béranger de Tours, abordé avec ces nouveaux outils que sont les catégories aristotéliciennes, la logique et la réflexion sur le signe. Pour Béranger, qui revendique la définition augustinienne du signe, le sacrement étant un signe, le signifiant et le signifié ne peuvent être la même chose, et le pain et le vin ne sont ni le vrai corps ni le vrai sang du Christ, mais des signes (signa), des figures (figura), des ressemblances (similitudines), des gages (pigna).

Hugues de Saint-Victor et Pierre Lombard commencent à comprendre l’eucharistie comme un signe autoréférentiel et efficace, participant à la chose qu’il signifie. L’eucharistie est plus qu’un symbole, elle est res et signum à la fois. Et les paroles de consécrations sont aussi un signe efficace (signum efficax) qui produit précisément la double nature du sacrement. La nouvelle théorie fait fortune et s’institutionnalise avec le Concile du Latran de 1214 affirmant la « présence réelle dans l’hostie ». Si l’Église romaine retient la thèse de la présence réelle, le problème dogmatique n’est résolu sur le plan logique que par Thomas d’Aquin : le pain et le vin demeurent des substances sensibles dans la bouche des fidèles, de sorte que les espèces eucharistiques sont un hapax, une singularité totale ; le prêtre transsusbtantie l’hostie, change en réellement la substance du pain et du vin en corps et sang du Christ, mais les accidents visibles restent ceux du pain, sans que les espèces ne soient véritablement du pain.

C’est en ce XIIIe siècle de fixation dogmatique que le rite de l’élévation de l‘hostie se généralise dans la liturgie et que l’on commence à utiliser une monstrance (reliquaire de cristal transparent) pour la présenter au public ; c’est à la même époque que se déploie une iconographie merveilleuse qui soutient le contenu dogmatique de l’Eucharistie, la Messe de saint Grégoire, dont témoigne ce Livre d’Heures. On peut y voir saint Grégoire de dos, à l’autel, tonsuré, agenouillé devant un autel drapé sur lequel apparaissent un livre ouvert et un calice. Grégoire soulève à deux mains une hostie sur laquelle est représentée la Crucifixion. Derrière l'autel, le Christ en croix et couronné d'épines, sort de la cuve de son tombeau. Il se manifeste de façon miraculeuse sous l’aspect d’un homme de douleur ressuscité. Sur les murs autour de lui, sont déployés les instruments de la Passion et les signes de la multitude d’événements moins importants qui en ont accompagné le déroulement. L’image ramène à la mémoire tout autant le Christ historique que le Christ divin, dont la double présence est affirmée dans la petite hostie blanche tenue à bout de bras par saint Grégoire, elle-marquée du signe du sacrifice sur la croix.


Rédaction

Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « L’eucharistie » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 01 mai 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/1187