La lettre performative du texte sacré

Motif iconographique

Le fonctionnement des lettres peintes du Psautier de Corbie relève de deux grands principes : elles sont un rapport littéral ou analogique plus ou moins lâche avec le texte qu’elles ouvrent ; elles sont organisées en microprogrammes, inspirés d’œuvres antérieures ou ingénieusement élaborés pour fonctionner en ensembles d’images.

L’initiale du Beatus vir, le premier psaume, est la toute première du codex et elle lui sert, en quelque manière, de frontispice introductif : elle explique à la fois ce qu’est ce codex, d’où il vient et selon quels principes il a été calligraphié et orné.  Dans la boucle supérieure du B, le psalmiste David écrit sous la dictée de l’Esprit saint dont l’insufflation dans l’oreille est matérialisée par un petit trait. Dans la boucle inférieure, le prophète David est enlevé par un ange, les deux boucles fonctionnant sur un mode complémentaire : l’Esprit saint entre dans le monde terrestre dans la boucle supérieure, le prophète est extrait du monde terrestre par l’ange.

Pour entrer dans le monde, Dieu passe par l’oreille puis par la main du prophète : le bec et l’oreille sont alignés avec la courbe de la plume que tient David, courbe qui vient ensuite dessiner la forme de la lettre. En d’autres termes, le contenu sémantique et la forme donnée au Verbe inspiré se retrouvent dans la lettre et, métonymiquement, le texte des psaumes tel qu’il apparaît dans ce manuscrit sacré.  Le choix de la couleur verte est sans doute lié à la vitalité naturelle associée à la couleur. Mais ces valeurs formelles s’expriment d’abord à travers les nombres, qui sont des qualités ontologiques immatérielles régissant la forme et la position relative des créatures dans le monde. Deux schémas de constructions se superposent dans la page. Le premier, relevant de la formule de Phi, indûment appelé Nombre d’or alors qu’il est une proportion parfaite reproductible à l’infinie, est à l’origine de la construction de la forme de la lettre « B ». Une deuxième grille, qui repose cette fois sur les proportions des consonnances de la musique, définit tout le système ornemental de la lettre ornée, ainsi que la disposition des autres lettres des mots « beatus vir » dans la page.  La calligraphie se fait signe iconique du Verbe divin, engendrement organisé de matière parfait et musical, expression.


Rédaction

Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « La lettre performative du texte sacré » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 01 mai 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/1183