Signes performatifs

Thématique iconographique

La place du Verbe divin dans l’économie chrétienne du monde latin est absolument centrale. Comme cela est énoncé dans le Prologue de l’Evangile de Jean, le Christ est le Verbe co-Créateur, qui engendre, ordonne, agit concrètement sur la matière du monde ; il est le Verbe incarné, Fils de Dieu qui se donne à voir historiquement et se donne à comprendre spirituellement dans les Évangiles ; il est enfin le Verbe qui refonde la Loi par son sacrifice et qui sauve l’humanité par sa grâce.  Ce que le Verbe a laissé sur terre constitue un ensemble de signes qui continuent d’agir dans le monde, soit directement soit par médiation. Ces signes sont tous performatifs : mots, gestes ou choses, ils ont fait, ou font ce qu’ils signifient, c’est-à-dire ce qu’ils donnent à comprendre.

Cette performativité tient à deux choses. La restitution de ces signes dans le monde sensible de l’audible comme du visible, se tient formellement et substantiellement au plus près des signes divins originels ; reproduction de signes ayant déjà opéré des opérations surnaturelles, ces signes reproduits contiennent une virtus, une puissance divine qui, déléguée par Dieu, leur permet, à leur tour, de transformer la matière du monde et d’accomplir des miracles. En d’autres termes, dans la culture religieuse du premier Moyen Âge, « l’incarnation de la Parole dans la matière sensible [est] un principe constitutif de toute réalité, où le matériau peut être non seulement le véhicule de transmission d’un message efficace, mais aussi un moyen de transférer une qualité, ou une substance, selon le principe d’une virtus contagieuse » [E. Pallottini, 2019]

Ces signes agissants du Christ apparaissent dès les premiers temps du christianisme, sous la forme de signes combinant lettres et formes géométriques, dont le plus puissant est lié à l’histoire de la conversion de l’empereur Constantin (Le chrisme signe de l’ordre cosmique). Mais les signes divins les plus largement reproduits sont les lettres et les mots sacrés de la Bible (la Pagina Sacra). Les chrétiens tiennent que la Bible, dans sa forme comme dans son contenu, a été intégralement inspirée par Dieu. Cela est particulièrement sensible pour les psaumes, chantés pendant la liturgie des Heures, et aptes à révéler la perfection de l’harmonie divine ; ils sont placés au cœur de la vie monastique et perçus comme une Vox Christi agissant dans l’âme et les corps ; c’est aussi très présent dans les évangiles concordants comme l’affichent les tables de canons qui souvent les ouvrent, et dont la mise par écrit est toujours placée sous l’inspiration de l’Esprit saint. Calligraphiés, participant d’un dispositif harmonieux, associés à des matériaux parfois très luxueux, la plastique de ces manuscrits renseigne sur les qualités de perfection que possèdent le Verbe divin (La lettre performative du texte sacré). On retrouve la même puissance efficace dans les noms divins, les nomina sacra, comme plus tard dans les noms des saints, les nomina sanctorum : ils ont la propriété de convoquer en présence et en actions invisibles, mais réelles, ceux qu’ils dénomment.

Les reliques des saints fonctionnent sur un principe similaire de sacralité, la relique, partielle, pouvant elle-même être enserrée dans un artefact iconique qui en signifie visiblement le pouvoir délégué par Dieu (La relique comme signe efficace de la virtus).

Cette virtus, présence active du sacré, est fondatrice de communautés qu’elle protège. Il n’est pas de fondation d’église sans reliques, mais il n’est pas non plus de communauté sans croix, signe et matrice de l’action de Salut du Christ dans le monde (La croix signe agissant du Christ dans la communauté).

Ce pouvoir divin est enfin transmis dans la tradition apostolique, celle des évêques et des prêtres ordonnés qui, représentants et vicaires du Christ dans l’Église, reçoivent de lui le pouvoir de lier et de délier par les sacrements. De ces gestes et paroles qui actuent les gestes et paroles divines rapportés par le Nouveau Testament (et auxquelles s’adjoindront ultérieurement d’autres sacrements, comme le mariage), Augustin donne une définition qui sera constamment reprise : « sacrificium ergo visibile invisibilis sacrificii sacramentum, id est sacrum signum est / Le sacrifice visible est le sacrement, c’est-à-dire le signe sacré, du sacrifice invisible » (De civitate Dei, X,5).  Pierre Lombard ajoute que ce signe effectue ce qu’il signifie (Sententiae IV, d. 1, cap. 3) (Le sacrement). Le plus important de ces sacrements est l’eucharistie. Il a donné lieu à d’intenses débats théologiques portant, précisément, sur sa qualité de signe (L’eucharistie).


Rédaction

Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « Signes performatifs » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 01 mai 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/1171