Sacré comme essence

Thématique iconographique

L’humain chemine vers le Salut en suivant l’orientation du plan providentiel de sanctification du monde, plan qui se traduit par un phénomène conversion des êtres, de la matière périssable dont ils sont faits à l’essence divine éternelle (voir Mutation comme accomplissement providentiel).

Le sacré est le produit de cette dynamique et il concerne en premier lieu la relation entre la personne et Dieu. Devenu chrétien, l’individu est voué à Dieu, il est uni au Christ par la Grâce. Le chrétien est ainsi appelé sans distinction « saint » (sanctus) au temps des premières communautés (Actes des Apôtres, Épîtres) pour signifier qu’il a été « appelé » par le Christ (vocatus), qu’il s’est converti à la foi en sa résurrection pour en rendre témoignage. Cet appel à l’engagement est vu comme une élection : « tu n'aurais pas été appelé à la grâce (vocatus ad gratiam), si le Christ ne t'avait jugé digne de sa grâce » écrit ainsi Ambroise de Milan (De Sacramentis, L. 1, ch. 1.) à l’un de ses frères chrétiens. L’élection est perpétuée à travers les générations par le baptême, sacrement (sacramentum) légué par le Christ à son Église. La mise en rituel de ce sacrement rend manifeste la consécration du chrétien, par la lustration et l’onction. L’appelé est d’abord lavé à l’eau de la souillure du péché originel pour le soustraire du lignage sexué de l’humanité. Une fois retranché du monde peccamineux, il est consacré par l’onction : le signe du Christ (la croix) est inscrit à l’huile consacrée sur sa tête pour signifier l’infusion en sa personne de l’Esprit saint. Le chrétien devient un temple pour Dieu (I Co 3, 16) et l’Esprit agit en lui comme un principe vital supérieur (La consécration du chrétien).

La sacralisation de la personne engage un mouvement collectif.  Le chrétien uni au Christ par l’Esprit saint est également uni à tous ses frères chrétiens qui ont, chacun, reçu ce principe divin. Ce lien d’essence divine est inaltérable, il est le principe de la Nouvelle Alliance qui convertit tout un peuple à l’éternité divine : l’Église. Celle-ci est, elle aussi, inaltérable et éternelle par la nature du principe de cohésion qui la fonde ; elle est de ce fait perçue comme sainte et sacrée (Le nouveau peuple saint). La sainteté de L’Église est comparée à la sainteté du corps du Christ dont elle est la version collective : le Corps mystique du Christ dont les membres sont les chrétiens. Ce corps collectif s’accomplit lors du rituel religieux par la participation de ses membres, vivants et morts, aux interventions sacramentelles de Dieu, en premier lieu desquelles la conversion du pain en corps sacramentel du Christ (L’Église sacerdotale).

L’Église est donc, collectivement, sacerdotale ; elle est en cela à l’image du Christ pontifex qui fut prêtre de son propre sacrifice. Elle est aussi composite. La participation de l’assemblée à la présence sacramentelle de Dieu nécessite une élite sacerdotale. Les prêtres chrétiens forment ainsi une fraternité d’hommes baptisés qui reçoivent l’Esprit saint de manière complémentaire, par le sacrement de l’ordination, selon une voie de transmission conduisant directement au jour de la Pentecôte où, selon l’Évangile, le groupe des douze apôtres reçut directement du Christ ce même Esprit, sous la forme de langues de feu. Ce lignage sacerdotal est sacré : il procède du Christ par ses apôtres et leur lignée spirituelle et annule, en cela, le sacerdoce héréditaire des prêtres sacrificateurs du Temple de Jérusalem (Lignage spirituel des ministres du Christ).

Le chrétien ordonné prêtre est oint du Christ, il appelé à devenir l’un de ses « pasteurs » pour conduire son « troupeau ». Cette onction retranche théoriquement le prêtre des liens mondains qui font le corps social (liens charnels, matrimoniaux, de filiation, de propriété et donc d’héritage). Paul de Tarse se présentait lui-même comme « serviteur (servus) du Christ Jésus, apôtre par vocation (vocatus apostolus), mis à part (segregatus) pour annoncer l'Évangile de Dieu » (Rm 1, 1 ; 1co 1, 1). Le clergé est essentiel au Salut de l’Église puisque c’est à lui que le Christ a délégué le pouvoir de produire le sacré (voir Médiation christique comme délégation). Ses membres ont le pouvoir de proclamer la Parole sacramentelle qui transforme la matière périssable du monde en matière liée à l’essence divine éternelle (Le sacré généré par les prêtres) et ils sont suffisamment sacrés pour manipuler cette matière consacrée sans la corrompre de leur humanité. Le mouvement de la réforme grégorienne, amorcé au XIe siècle, affermit progressivement une société-Église dont les laïc constituent le pôle charnel (La Vierge comme modèle sacré du clergé).

Comme l’Église est sacerdotale à la ressemblance du Christ Pontifex, elle est royale à la ressemblance du Christ Rex. Le roi, dans certains contextes du christianisme médiéval, est lui aussi sacré et bien que le sacre royal relève d’un phénomène importé dans le christianisme, il est dispensé comme un sacrement par les ministres du Christ pour faire de la personne royale une personne gémellée elle aussi, c’est-à-dire un individu ayant reçu son ministère de Dieu (La dualité de la personne consacrée).

Enfin, si l’Église constitue le corps sacré du Christ, l’imagerie théologique chrétienne l’envisage aussi comme un édifice sacré dont chaque pierre serait un chrétien : « les pierres vivantes ». De ce fait, une puissante analogie se crée entre l’Église-assemblée et l’église-monument, c’est-à-dire le temple nouveau dont elle a besoin pour participer aux sacrements. Cet édifice, qui est la version publique de l’individu temple de Dieu, est lui aussi consacré lors d’un rituel qui articule lustration et onction, ce qui en fait un édifice vivant investi de l’Esprit saint, tout comme ceux qui l’occupent (La maison de Dieu comme temple sacré).


Rédaction

Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « Sacré comme essence » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 01 mai 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/1167