Église des saints

Motif iconographique

La peinture renferme trois champs spatialement et chromatiquement distincts [F. Boespflug, 2000]. Au fond, s’impose un cercle constitué par les séraphins rougeoyants (peut-être un camaïeu d’or sur rouge vermillon). Ce cercle circonscrit un fond jaune très plat qui renferme la Trinité, entourée des Quatre Vivants, et la Vierge, assise sur la gauche. Dans le champ intermédiaire constitué de sortes de voussures de portail gothique, se tiennent l’assemblée des chérubins, en haut, et l’assemblée des saints, en bas, disposés sur des gradins (vierges, saints, saints prélats, apôtres et figures vétérotestamentaires). Ils constituent, avec les anges en camaïeu d’or sur bleu profond, une sorte de tunnel. Dans ce tunnel, s’avancent en procession, l’assemblée des élus, figurés de dos, au premier plan, sur des nuées bleutées. Deux mécanismes chromatiques agissent au sein de la peinture.
 
Le premier est la diffusion de la lumière à partir de la Trinité mais aussi de la Vierge. Représentée de profil dans le premier cercle céleste en tant que matrice du Dieu incarné, elle est co-régnante au ciel comme Eglise et épouse du Christ ; elle se tient une marche en dessous de la Trinité dont elle partage la substance divine. Les trois hypostases de la Trinité sont nimbées d’un très fin cercle d’or d’où jaillissent trois gerbes de rayons, mais c’est la blancheur immaculée de leur longue robe blanche qui attire le regard. L’effet produit par le blanc est bien plus puissant que celui que génèrent l’aplat jaune constituant le champ des personnages, le filet doré des nimbes rayonnants ou encore les symboles évangéliques, les dais, trônes et estrade dorés que contient le fond de l’image. On retrouve quelques occurrences de ce blanc pur dans la peinture, mais elles sont toujours contenues à l’intérieur du cercle rouge des séraphins. La blancheur reste dans le fond de l’image, seul l’or se diffuse.

Ce blanc est la lux du divin. Principe et fin vers lequel convergent les regards, celui des saints comme celui du spectateur, il est l’essence divine qui polarise la dynamique centrifuge de la peinture. Ce mouvement centrifuge est linéaire, car tubulaire, mais il engage aussi le tournoiement des voussures dans une ronde d’adoration céleste qui reste polarisée. En l’empruntant, les élus viendront compléter les voussures déjà occupées par les anges et les saints, sans toutefois pouvoir pénétrer d’eux-mêmes dans le lieu où se tient la Trinité. Le chemin rectiligne bute en effet sur la rencontre entre le plan vertical de la vision béatifique et le plan horizontal sur lequel chemine l’assemblée des élus. Cet important détail de la composition spatiale rappelle que c’est la médiation de l’Eglise, installée sur un degré de l’estrade qui transgresse le cercle rouge des séraphins pour déborder sur l’assemblée des saints, qui permet l’entrée dans le divin.

A l’inverse de ce mouvement centrifuge vers le blanc, la lumière divine se diffuse à l’intérieur de l’image qu’elle unifie en une seule assemblée. A la manière d’un arc-en-ciel, elle se diffracte en couleurs successives : en rouge sur deux rangées de séraphins, une couleur que ses propriétés optiques font avancer, à la mesure de l’estrade présentée en perspective ; en bleu, disposé sur les sept rangées de chérubins concentriques mais aussi sur le sol ; puis en un concert de couleurs mélangées sur les vêtements des élus qui avancent entre les tribunes. La lumière se diffuse aussi sous forme de reflets dorés, qui se distribuent de façon hiérarchisée. Ils scintillent en camaïeux d’or sur les formes rouges et bleues des anges dont le corps est déjà de lumière (le bleu et le rouge, classés, depuis Grosseteste, comme des couleurs fondamentales avec le jaune, s’opposent ici aux couleurs mélangées des élus). Ces reflets dorés construisent ensuite la forme des corps des saints qui sont disposés sur les tribunes, indiquant par-là même que la lumière est la nouvelle substance de leur chair ressuscitée. Enfin, ils chatoient sur les têtes, les mains et les vêtures des élus, promesse d’une identique transformation.

La lumière pure, le blanc, attire donc à elle, tandis que la lumière émise et réfléchie, les couleurs et l’or, agit sur un mode centripète pour construire une communauté unifiée spatialement (le grand mouvement giratoire des voussures d’anges et de saints) et unifiée substantiellement (les corps fait de la lumière dorée comme émanation divine).


Rédaction

Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Isabelle Marchesin / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « Église des saints » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 01 mai 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/1154