Temps comme expérience collective

Thématique iconographique

La communauté chrétienne, tout comme la société médiévale occidentale, pense  son passé, son présent et son devenir dans une seule trame linéaire qui est celle de l’historia. Les chrétiens lisent ainsi la Bible comme un récit historique qui enseigne la Révélation, et en constitue même la principale porte d’entrée : le monde a été créé tel que le décrit le livre de la Genèse, l’histoire humaine s’est déployée ainsi que le raconte l’Ancien Testament, comme une succession de généalogies, de peuples et d’empires, menant à l’Incarnation du Christ révélée dans le Nouveau Testament. La mort et la Résurrection du Christ fonde un âge nouveau, le temps de la grâce, entièrement tendu vers la promesse de vie éternelle.

Dans cette longue histoire de l’humanité, deux types de passés se succèdent. L'un, qualifié d’ancien et que les chrétiens comprennent comme le temps de la soumission des Hébreux à la Loi divine (un joug), est décomposé en âges successifs qui précisent progressivement les conditions de l'Alliance que Dieu a passé avec les humains et préparent la venue du messie. L'autre est un long présent dans lequel s'inscrivent les médiévaux, et il est compris comme le temps de la Grâce dans lequel vivent le Christ, ses apôtres, ses disciples, ses martyrs et ses saints, les Pères et docteurs de l’Église, l’empire romain christianisé restauré à partir du IXe siècle ainsi que toutes les communautés qui leur font suite, tous inscrits dans le temps de l’Église cheminant vers la fin des temps (L’accomplissement de la Providence dans l’histoire). Et parce que ce chemin est, en définitive, un retour au Paradis, la communauté cherche constamment à revenir aux racines de sa fondation, comme une volonté d'être au plus près du Christ, et dans une démarche de constante purification qu'appellent aussi bien les textes évangéliques que l'Apocalypse. La perspective eschatologique est fondamentalement une démarche de réforme, de rénovation  (Temps de la réforme).

L'histoire de la communauté des chrétiens, c'est-à-dire de l’Église, préparée dans le passé et actualisée dans un long présent, établit une tradition dont on garde mémoire par les textes et par l'instauration de rites. Malgré certains débats - et il y en eut de nombreux, par exemple au sujet de l'eucharistie, de l'Immaculée conception de la Vierge ou encore de la relation entre les clercs et les laïques - ces normes sont une autorité émanant du passé qui constitue un plan de continuité de la vérité chrétienne telle que révélée par le Nouveau Testament, explicitée par des Pères et fixée par les canons conciliaires. C'est sur ce modèle mémoriel que les communautés médiévales inscrivent leur identité et leur cohésion dans le lignage spirituel des apôtres (les évêques et les prêtres), des martyrs, des saints et des communautés religieuses successives, garants de la protection des chrétiens et de l'efficacité des rituels (Construction de la communauté par la mémoire).

La linéarité du temps historique est en quelque sorte abrogée par le rituel, qui se veut une actuation de ce que le Christ a fondé, et universellement, pour son peuple, c'est-à-dire  une alliance instaurée lors du dernier repas du Christ et qui se rejoue lors de chaque eucharistie. Ce paradoxe est fondamental pour comprendre que le temps de l’Église est à la fois dans l'histoire (ce qui l'a préparée dans les siècles passés et ce qu'elle a traversé des péripéties de l'histoire humaine), et au-dessus de l'histoire (continuellement dans le présent de la nouvelle alliance). C'est ce que l'on appelle l’Église pérégrinante, qui vit le présent de l'alliance, et dont la temporalité, exprimée par le temps liturgique, est doublement structurée. Fondamentalement centré sur le rituel de l'eucharistie, qui est la raison d'être du rituel de la messe, ce temps est apax, moment unique infiniment répété, suspension radicale du flux temporel qui se concentre en un seul évènement résumant, explicitant, réalisant tous les temps de l'histoire, jusqu'à sa fin (préméditation du jugement à venir).

Cyclique, car adossé au grand mouvement cosmologique et immuable du ciel supra lunaire, le temps de l’Église redistribue l'histoire du Christ, la Révélation, en une seule année,  et lui adjoint les fêtes des saints qui ont assuré la continuité de l'existence de la communauté ecclésiale. Le calendrier opère une sanctification du temps et cela à différentes échelles. Le cycle annuel des fêtes fixes et mobiles épouse le cycle des saisons, et en reprend le principe même : centré sur la fête de Pâques, c'est-à-dire la mort et la résurrection du Christ, il se présente comme une expérience de la mort et de la revitalisation apportée au monde par la nouvelle Loi. Ce point fixe de révolution du temps distribue toute l'histoire de l’Évangile et des saints de l’Église du Christ à l'échelle d'une année qui se répète indéfiniment. A côté de l'eucharistie, qui est présent perpétuel, l'année liturgique constitue, elle aussi, un nouveau présent sans cesse renouvelé : celui d'une communauté vivant dans le temps présent du Christ, expérimentant le processus de la nouvelle alliance. L’Évangile historique devient Évangile en acte.

Le temps liturgique, constante présentification du divin dans la vie humaine, rythme non seulement l'année mais aussi toutes les échelles de perception subjective de l'écoulement du temps par les fidèles. Signifié par les cloches, conditionnant les déplacements et rythmant les activités sociales, ce temps liturgique s'organise autour du dimanche pour les laïques, autour de chacune des heures de la journée pour les moines, mais aussi pour les croyants qui s'inscrivent, à la fin du Moyen Age, dans une même scansion de la pratique dévotionnelle (temps sanctifié).


Rédaction

Nicolas Varaine / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Nicolas Varaine / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « Temps comme expérience collective » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 01 mai 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/1037