Sagesse divine en acte

Motif iconographique

Ce Christ portant le nimbe crucifère du Verbe est le Christ Logos, image du Père tout puissant présenté en acte de création. Sa silhouette est posée sur un champ couvert d'or encadré de bordure bleue et rouge qui répondent au couleur de son vêtement. Ce cadre ne parvient pas à contenir sa figure : si le Christ ne se penchait pas sur sa création, il en déborderait par sa taille alors même que son pied droit déborde déjà de l'angle inférieur gauche. Ce pied, vu de dessus, dénote par ailleurs avec son pied gauche qui, prenant appui à l'intérieur du cadre, est présenté de profil pour se fondre dans la surface du champ or. Ainsi disposé, la figure du Christ est présentée entrant dans ce cadre, s'installant dans la plasticité qui y est en vigueur. Avec une économie de moyen remarquable, l'enlumineur présente ici le Verbe entrant en acte au principe de la Création, le In principio qui sont les deux premiers mots de la Bible.

Dans ce cadre, le Christ porte le disque de l'univers pour figurer qu'il est son œuvre et applique dessus les deux pointes d'un compas. Il tient l'instrument devant sa bouche aux lèvres très finement entrouvertes ce qui montre le Christ comme la Parole en acte : Dieu "dit" pour que les choses "soient". Mais quel est alors la fonction du compas placé entre la cause première de la Création (le Verbe) et son effet (l'Univers) ?

Ne pensons pas le compas comme un instrument de traçage mais comme un instrument de report de mesures (semblable à celui qu'aura utilisé l'enlumineur) muni de deux pointes qui indique le rayon exact du disque (la première pointe posée au centre de l'univers et l'autre sur son périmètre). Le diamètre du disque est lui aussi signalé par le point de jonction entre le périmètre du disque et la bordure interne du cadre (qu'indique la pointe du compas) et la main du Christ de l'autre côté : L'univers reçoit sa forme du créateur et sa taille (son déploiement dans l'espace) est contrainte par le cadre du principe qui agit sur lui comme une loi.

Son compas est peint sans relief, à équivalence du fond or, soumis au régime plastique du Principe. Dieu crée la matière ex nihilo et y introduit simultanément la mesure. Plus précisément, avec cet instrument, il décline l'unité de la mesure divine pour formuler le plan de la mise en forme du monde. Celui-ci se conforme en cet instant à ce plan (cette loi) : tous les éléments de la création sont montrés dans un état intermédiaire, entre l'informe et la forme, et tous se positionnent selon le les potentialités des mesures inscrites dès le principe dans les matériaux de la Création : les eaux supérieures se répartissent sur le pourtour du cercle, des nuages, fait de bleu et de blanc, s'en séparent et se répartissent au-dessus d'un ciel noir constellé des astre fixes, les deux astres majeurs, le soleil rouge et le disque jaune de la lune marqué d'un croissant, tournent autour de la terre qui est ici figurée par une masse jaune encore informe, au centre du système en tant que masse de matière.

Alors même que la mise en forme s'achève selon les potentialités des mesures inscrite dans la Création à son principe, le Christ observe le cadre de la page placée en vis à vis dans laquelle s'accomplit l’œuvre des quatre premiers jours de la Genèse. Celle-ci a lieu dans le monde qu'il vient de créer selon le même plan. Le frontispice de ce manuscrit manifeste ainsi une plasticité du temps caractéristique des bible moralisées de cet époque dans lesquelles plusieurs événement peuvent avoir lieu en même temps (voir Lumière comme principe de distinction).


Rédaction

Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud


Pour citer la page

Collectif OMCI-INHA, Mathieu Beaud / Direction scientifique : Isabelle Marchesin, Mathieu Beaud, « Sagesse divine en acte » in Ontologie du christianisme médiéval en images, consulté le 19 mai 2024, https://omci.inha.fr/s/ocmi/item/915