Temps unifié par l'Incarnation
Motif iconographique
Ce sont plusieurs échelles du temps qui sont juxtaposées dans cette initiale : à gauche, se succèdent les âges de l’humanité, représentés par les figures successives d’Adam, Noé, Abraham, Moïse puis le Christ. À droite, c’est une seule journée qui est donnée à voir. Ce parallèle a été glosé par de nombreux commentateurs, d’Origène à Grégoire le Grand. Deux lectures ont été proposées de cette comparaison, que combine et résume l’Homélie 19 de Grégoire. D’une part, les différentes figures bibliques et les heures du jour successives correspondent à l’âge à partir duquel les fidèles ont mené une vie chrétienne : dès le début de leur vie pour certains, d’autres plus tardivement, chaque épisode correspondant à une étape de la vie humaine, avec une même récompense quel que soit le moment où ils ont devenus chrétiens. D’autre part, chaque âge du monde, incarné par un personnage et un moment du jour, correspond à une époque à laquelle Dieu a assemblé des prédicateurs pour répandre la foi chrétienne. Le temps de l’histoire sacrée est de la sorte rapporté à celui de la vie humaine. Dans les deux cas, la progression du temps est orientée vers le salut qui, pour tous les chrétiens, survient à la onzième heure, même si cette attente a été plus longue pour certains que pour d’autres. Ces deux échelles de temporalité sont unies par la figure du Christ, dont la venue manifeste dans sa plénitude le dessein de Dieu et donne sens et unité à l’ensemble de l’histoire sainte et des Écritures par la réalisation de la nouvelle alliance. Cette unité est exprimée visuellement par la centralité de la figure du Christ, qui impose sa structure en croix à l’initiale, à laquelle s’articule chaque médaillon. L’Incarnation du Christ incarne à la fois une continuité, ce qu’indique la présence du Christ dans le cinquième médaillon de l’axe de gauche, mais aussi une rupture. Le temps des apôtres clôt celui des précurseurs et des prophètes, ouvrant sur un temps autre, où la Résurrection et la fin des temps sont annoncées par les anges du sixième médaillon. La verticalité des trois colonnes d’images traduit une tension vers ce qui va arriver ensuite, qui modifie la lecture des Écritures : celles-ci, dès les premiers mots de la Genèse, doivent être comprises au prisme de l’annonce de la venue du Christ. C’est toute la Création qui est parcourue et réunie dans cette initiale, autour de la Crucifixion qui constitue le centre de l’initiale et impose une structure en croix à toute la page. Cette place centrale permet de valoriser la deuxième alliance, qui conclut la progression du temps historique résumée par les figures des âges de l’humanité.